Zoom sur le "repos biologique", élément d'un dispositif pour une exploitation durable

Paris, le 21 septembre 2006

La reproduction des poissons dépend de l’environnement …
La grande majorité des poissons se reproduit par fécondation externe. Les œufs et les larves de poissons subissent donc les contraintes naturelles de leur milieu que sont la prédation, les variations de température, une trop faible salinité, des courants défavorables, un manque de nourriture, etc. Les scientifiques estiment qu’en moyenne un million d’œufs ne produit que quelques juvéniles1 (un à 10). Cette faible survie larvaire est compensée par l’émission de produits génitaux en quantité considérable. Au cours d’une même saison de ponte, un poisson femelle émet plusieurs centaines de milliers d’ovules2 , voire quelques millions d’ovules selon l’espèce et la taille du poisson.

La reproduction aboutit au « recrutement », c’est-à-dire à l’arrivée dans la population d’une nouvelle classe d’âge (appelée « cohorte »). La production massive d’œufs n’est cependant pas une condition suffisante pour engendrer un « bon recrutement ». Ce sont généralement des facteurs environnementaux favorables à une survie élevée des œufs et des larves (disponibilité de nourriture, faible prédation, par exemple) qui conduisent à des recrutements importants.

… mais aussi de l’état de la population exploitée.
 Lorsque les poissons qui forment la cohorte atteignent la taille minimale de capture et arrivent sur les lieux de pêche, l’exploitation se combine aux facteurs du milieu pour déterminer les variations d’abondance du stock. Si la pression de pêche est telle qu’il subsiste peu de reproducteurs, les risques de faibles recrutements augmentent, le stock se fragilise et son renouvellement devient problématique. De même, si la population des poissons adultes est constituée d’une unique classe d’âge, seule la descendance de celle-ci peut assurer le renouvellement du stock. Dans cette situation, un « accident » de recrutement (une trop faible survie larvaire) peut compromettre le maintien du stock et de la pêcherie, faute de relève suffisante. Ce phénomène peut se produire chez les espèces à courte durée de vie – comme l’anchois – ou chez celles dont les stocks sont fortement surexploités : c’est entre autres le cas de la morue de la mer du Nord, dont la biomasse des géniteurs n’est plus constituée aujourd’hui que d’une majorité de jeunes poissons qui se reproduisent pour la première fois.

Ainsi, du fait de l’éradication par la pêche des plus vieilles classes d’âge, les stocks intensément exploités d’espèces à longue durée de vie (comme la morue) tendent à fluctuer de la même manière que les stocks d’espèces à vie courte (comme l’anchois). En effet, chez les espèces à longue durée de vie, cette éradication des plus vieilles classes d’âge provoque (comme pour les espèces à vie courte) un affaiblissement de leur capacité à amortir l’effet des variations du milieu, et de plus une baisse de la fécondité du stock, manifestation de ce que l’on nomme les « effets parentaux ». Car les grandes femelles pondent un plus grand nombre d’œufs, mais ces œufs sont aussi plus gros, et ils donnent des larves dont la viabilité est meilleure. La période de ponte des femelles âgées est également plus étendue dans le temps et l’espace, de sorte qu’elles contribuent à augmenter les chances de survie des stades juvéniles.

Fonder l’exploitation ou la restauration d’un stock d’une espèce à vie longue uniquement sur l’objectif de conservation de la biomasse des poissons adultes est donc insuffisant, il est en outre nécessaire de rétablir une structure démographique composée aussi de poissons âgés.

Le cas particulier des requins et des raies
Le schéma général que l’on vient de présenter décrit la reproduction et le recrutement des poissons dits « osseux », c’est-à-dire de la grande majorité des poissons (hareng, maquereau, bar, merlu, baudroie, sole, …). Il ne s’applique pas aux sélaciens, ou « poissons cartilagineux », c’est-à-dire les requins et les raies. D’abord, les sélaciens s’accouplent et se reproduisent par fécondation interne. Ensuite, la femelle ne produit qu’un petit nombre de gros œufs (ceux de la roussette sont fréquemment montrés en aquarium), dont éclot un jeune poisson qui possède déjà les traits de l’adulte. Enfin, chez plusieurs espèces de requins, la femelle ne libère pas ses œufs, mais « accouche » de jeunes requins.

C’est là une stratégie démographique profondément différente de celle des poissons osseux. À cause de leur maturité sexuelle tardive et de leur faible fécondité, les requins et les raies sont considérés comme des ressources particulièrement vulnérables.

Le « repos biologique » : un moyen pour préserver les ressources ?
 Du fait de leur mode de reproduction, les poissons se regroupent au moment du frai. Certains engins de pêche les capturent alors plus aisément, notamment les chaluts, ou encore la senne tournante, et peuvent réaliser de forts prélèvements sur le stock pendant une courte période.

On nomme « repos biologique » l’arrêt de la pêche pendant la période de reproduction des poissons. C’est une manière de diminuer la pression de pêche sur les stocks. On a cependant rappelé que le recrutement des poissons « osseux » dépend davantage de la survie des larves que de la quantité d’œufs produits. Sous réserve qu’il reste un nombre suffisant de reproducteurs, le « repos biologique » ne peut donc, simplement en « protégeant les œufs », garantir à lui seul la conservation ou l’accroissement du stock.

Le « repos biologique » permet en fait de diminuer la pression qu’exerce la pêche sur un stock – à condition que cette mesure ne soit pas dénaturée par une intensification de la pêche hors de la période d’arrêt, ou par un report de la capture sur les juvéniles.

La gestion de certaines pêcheries d’invertébrés inclut un « repos biologique » en saison de reproduction. C’est notamment le cas au Maroc pour le poulpe. En France, l’utilisation de cette mesure justifie en partie la fermeture estivale de gisements de coquilles St-Jacques et d’ormeaux. La Politique Commune de la Pêche (PCP), en complément des TAC et quotas annuels, tente aussi de réguler la pression de pêche subie par certains stocks de poissons, en instaurant des fermetures temporaires et locales (« box morue » en mer Celtique par exemple).

Un outil de régulation des marchés ?
 Les marchés peuvent aussi bénéficier de la mise en place du « repos biologique », qui évite les débarquements de poissons ponctuels et massifs, générateurs d’une baisse des prix, voire d’invendus.

Il convient en revanche de rappeler les situations où la pêche est ouverte pendant le frai pour capturer des femelles « grainées » de haute valeur marchande. C’est le cas, par exemple, du hareng de l’Alaska, dont les ovaires mûrs (la « rogue ») sont un produit très recherché et exporté, notamment au Japon. Lorsqu’elle est « coraillée », c’est-à-dire quand sa glande sexuelle est mûre, la coquille St-Jacques acquiert une meilleure valeur marchande (en France, les importations proviennent d’Ecosse, où la pêche est ouverte en été, tandis qu’elle est fermée en France ...).

Le « repos biologique », l’un des outils de l’exploitation durable des ressources.
La gestion des ressources halieutiques repose sur un principe de base simple : la pêche ne doit pas mettre en péril la capacité naturelle des stocks de poissons à se renouveler. Elle doit également permettre une exploitation durable et optimale de ces ressources. Ces notions - d’optimalité et de durabilité - fondent le concept de « rendement maximal soutenable » (RMS, en anglais MSY : Maximum Sustainable Yield), niveau auquel devront être restaurés les stocks en 2015 selon le plan d’application du Sommet de Johannesburg. En France, cet objectif est inscrit dans le récent « plan d’avenir pour la pêche ».

L’exploitation durable des pêcheries est fondée sur un ensemble cohérent de mesures de gestion, qui visent à assurer la préservation d’une quantité suffisante de reproducteurs appartenant à plusieurs classes d’âge, afin que soient atténués l’effet sur les stocks de conditions environnementales défavorables, et aussi l’impact des mauvais recrutements.
Pour être efficace, le « repos biologique » doit s’inscrire dans un dispositif incluant aussi :

La protection des nourriceries : les jeunes poissons ont bien souvent des lieux de vie distincts de ceux des adultes. A proximité des côtes, dans les baies et les estuaires, le type de fond, la température et la nourriture conviennent à leur développement. Mais les habitats de ces nourriceries sont parfois détériorés par les multiples usages de la mer côtière : pollutions, extraction de sable et graviers, rejets de boues … et par la pêche elle-même (chalutage et dragage à proximité des côtes, par exemple). La protection des nourriceries est vitale pour le renouvellement des stocks. C’est l’un des objectifs des aires marines protégées.

La sélectivité : la protection des juvéniles est indispensable. Elle permet aux jeunes poissons de grandir, de devenir adultes et de participer à la reproduction. Taille (ou poids) limite de capture, utilisation de maillages correctement dimensionnés et montés, changement d’engin sont des mesures bien connues. Une forme de sélectivité consiste aussi à ne pas pêcher là où se concentrent les jeunes poissons.

L’ajustement de l’effort de pêche et des capacités de capture : les ressources étant limitées, la pression de pêche doit être ajustée au potentiel de production des stocks halieutiques. L’arrêt localisé et périodique de la pêche est un moyen de réguler l'effort de pêche en limitant l’activité. D’autres outils existent, qui visent à juguler la tendance aux « surcapacités » de capture par la régulation de l’accès aux ressources : par exemple, les droits d’accès et d’usage comme les licences ou permis de pêche, ou encore les quotas individuels d’effort ou de capture.

Ces mesures, qu’elles visent la conservation (du potentiel de production et de reproduction des stocks) ou la régulation de l’accès (partage des ressources entre les usagers), ont vocation à être appliquées de manière combinée.
1 les juvéniles ont acquis la forme du poisson adulte, mais ne sont pas encore aptes à se reproduire. 
 2 appelés « œufs » par les pêcheurs lorsqu’ils capturent un « poisson grainé ».