Retour de la campagne Vicking : des émissions de méthane plus ou moins actives selon les zones de la marge norvégienne

Brest, le 5 juillet 2006

L’équipe pluridisciplinaire et internationale embarquée à bord du Pourquoi pas ? pour la campagne Vicking de l’Ifremer, est rentrée à Brest le 23 juin. Les scientifiques, partis le 20 mai à la découverte des cheminées à gaz de la marge norvégienne1, sont revenus pleinement satisfaits de leur mission sur la zone de Storegga et autour du volcan Hakon Mosby.

Des cheminées à gaz par dizaines qui percent le fond marin
Les cheminées à gaz sont les conduits privilégiés pour l’échappement du méthane issu des couches sédimentaires profondes. Il en existe des dizaines sur la pente continentale de Storegga située entre 600 et 1000 m de profondeur.
La campagne Vicking avait entre autres objectifs, l’étude du fonctionnement de ces structures géologiques particulières. Lors de la mission, les scientifiques ont pu observer des cheminées généralement marquées par la présence de croûtes sur le fond ou de massifs carbonatés, leur taille variant – sur une étendue horizontale - du mètre à plusieurs dizaines de mètres, contrastant avec l’omniprésence de sédiments fins sur la zone de Storegga.
Le fond sous-marin, à l’aplomb des cheminées, montre dans certains cas un relief en cuvette (ou « pockmark ») et dans d’autres un relief en dôme. Une différence morphologique qui ne semble pas affecter la nature de l’écosystème, puisque les chercheurs ont détecté, associés aux cheminées à gaz, une faune abondante et, localement, des tapis bactériens. Cependant, le fonctionnement de cet écosystème, caractérisé par une diversité biologique insoupçonnée, reste encore à comprendre. Les « pingoes » (petits massifs arrondis) par exemple, que l’on pensait être constitués d’hydrate de méthane affleurant au fond de l’océan, sont en réalité des amas de pogonophores2 !
Dans leur ensemble, les cheminées s’avèrent être des diffuseurs lents de méthane, propices à la colonisation du fond par de vastes champs de pogonophores et, dans les parties les plus actives, par des colonies de gastéropodes, des voiles bactériens et des encroûtements de carbonates.

Le volcan de boue Hakon Mosby, un laboratoire sous les mers…
Le volcan de boue Hakon Mosby, situé plus au nord sur la pente continentale norvégienne, avait déjà fait l’objet d’une visite en 2003 par Victor 6000, le robot sous-marin télé-opéré de l’Ifremer. Repérable par son panache de bulles de méthane enrobées d’hydrate, ce volcan présente l’avantage d’être observable plusieurs centaines de mètres au-dessus du fond par les sondeurs. Contrairement à la zone de Storegga, les émissions de méthane y sont en effet très actives.
Le système PEGAZ, outil de prélèvement des hydrates de gaz, mis en œuvre pour la première fois sur le Victor 6000, a permis de récolter du gaz sous pression. Les échantillons collectés sont ainsi analysés dans des conditions proches de celles du fond (voir la photo 1).
Par ailleurs, un carottier instrumenté de sondes de température, qui avait été déployé au centre du volcan de boue en septembre 2005 lors d’une mission allemande, a été également récupéré sur le site. Selon les scientifiques, les écarts importants de température enregistrés, avec notamment une chute brutale de 10°C au milieu de l’hiver, reflètent probablement une activité du volcan variable à l’échelle de quelques semaines.
Le volcan de boue Hakon Mosby s’avère donc être un excellent laboratoire européen pour observer la réponse d’un écosystème benthique à des conditions environnementales en changement rapide. Le fort dégazage en cours, et les teneurs élevées d’hydrate de méthane présent dans les sédiments, intéressent aussi les climatologues qui cherchent à mieux évaluer le rôle de la déstabilisation des hydrates de méthane sous-marins dans le réchauffement climatique global.

Une campagne riche en données
Malgré une météo peu favorable, la campagne Vicking a permis d’effectuer une quantité impressionnante d’observations directes (photos et vidéos) et un nombre important de mesures physico-chimiques dans l’eau et les sédiments. De même, de nombreux échantillons (géologiques, biologiques, microbiologiques, fluides et gaz hydrates) ont pu être prélevés. Les capacités techniques du Pourquoi pas? (aménagement des laboratoires et réseau informatique) permettent en effet un conditionnement optimal des échantillons collectés et un traitement direct des données.
Le Victor 6000, équipé de son nouveau « Module de mesures en route », a quant à lui permis de dresser de façon très précise des cartes bathymétriques. Par comparaison avec les données acquises en 2003, les scientifiques peuvent déjà affirmer que la topographie du fond a évolué en 3 ans, montrant de nouvelles coulées de boue. Ce robot télé-opéré, muni d’une nouvelle navette présentant une grande capacité d’emport, a aussi permis l’acheminement de nombreux outils sur le fond. Enfin, la nouvelle caméra OTUS de ce module, a permis de réaliser des mosaïques photographiques de qualité sur de grandes surfaces.
Si les scientifiques sont pleinement satisfaits des premiers résultats de cette campagne, il faudra bien sûr attendre quelques mois pour mesurer l’ampleur des données apportées par Vicking dans l’avancée des connaissances scientifiques.

Effectuée dans le cadre d’un projet de l’Union européenne, HERMES3 , la campagne Vicking a été financée au titre de la priorité « Changement global et écosystèmes ». Réunissant un consortium constitué de 36 instituts de recherche et de neuf entreprises de 15 pays, HERMES vise à une meilleure connaissance de plusieurs zones géographiques situées le long des marges profondes européennes, en Atlantique et Méditerranée, reconnues comme « Hot Spot » parce qu’elles abritent des écosystèmes particulièrement riches mais fragiles.
1 Les marges continentales sont des zones océaniques situées en bordure des continents.
2 Les pogonophores sont des animaux qui vivent dans les profondeurs marines (jusqu'à - 10 000 mètres) dans des tubes qu'ils sécrètent.
3 HERMES: Hotspot Ecosystem Research on the Margins of European Seas.