Bilan du défi Morest : mortalités estivales de l'huître creuse Crassostrea gigas

Le 15 mars 2006

Sommaire
- Le défi Morest 
- Les résultats scientifiques 
- Peut-on prévenir et gérer ces mortalités ? 
- Après le défi Morest 

Le défi Morest

Le défi Morest, initié en 2001, vient d'achever en 2005 sa dernière année d'activité. Elle a essentiellement été consacrée à la réalisation d'opérations complémentaires focalisées sur des points qui restaient à préciser, au traitement des données, à l'organisation de débats scientifiques et à la préparation de documents de synthèses et de publications.

- Les partenaires : Ce défi réunit des laboratoires de l'Ifremer, des universités (Caen, Brest, La Rochelle, Montpellier), du MNHN, du CNRS et de l'Institut Pasteur ainsi que le Syndicat des Sélectionneurs Avicoles et Aquacoles Français (Sysaaf). Le Syndicat mixte pour le développement de l'aquaculture en Pays de Loire (Smidap), le Centre régional d'expérimentation et d'application aquacole (Creaa) en Poitou-Charentes, le Syndicat mixte d'équipement du littoral (Smel) dans la Manche ont contribué à des opérations de validation à grande échelle. Le Conseil National de la Conchyliculture (CNC), des Sections régionales de la Conchyliculture représentant les producteurs de la filière, le Syndicat National des Ecloseurs Nurseurs de Coquillages (Snenc) ont entretenu un contact étroit avec le projet, qui a réuni plus de 60 spécialistes en génétique, physiologie, immunologie, pathologie, écotoxicologie, épidémiologie et écologie côtière.

- Les sites ateliers : La baie de Veys (Normandie), la rivière d'Auray (Bretagne) et Marennes-Oléron (Poitou-Charentes) sont les 3 sites ateliers en terrain découvrant. Un 4ème site a complété le dispositif en 2003, dans le secteur d'élevage en "eau profonde" de la baie de Quiberon.

- Le financement : L'Ifremer, les régions de Basse Normandie, Bretagne, Pays de Loire, Poitou-Charentes et le Département du Calvados ainsi que l'IFOP (Instrument Financier pour l'Orientation de la Pêche) ont contribué au financement de l'opération.

Les résultats scientifiques

Les résultats obtenus permettent aujourd'hui de proposer un schéma d'interactions entre l'environnement, l'huître et des pathogènes opportunistes, qui explique une grande majorité des mortalités observées sur le terrain et celles décrites dans la littérature tant au Japon qu'aux Etats-Unis.

- Modèle d'interactions : Une hiérarchie des facteurs conduisant aux mortalités permet de montrer qu'aucun d'entre eux n'est à lui seul responsable des mortalités estivales, mais que leur combinaison est nécessaire. Ainsi, les conditions trophiques riches induisent un effort de reproduction important, qui ne constitue un risque qu'à partir d'une température de 19°C et sous condition de l'existence d'un stress, généralement associé à la proximité des huîtres par rapport au sédiment présent dans le fond. Par ailleurs, il existe une variabilité génétique chez les huîtres pour leur aptitude à résister aux mortalités estivales. Certaines familles s'avérant plus résistantes que d'autres, la survie peut être améliorée par sélection des meilleures familles.

- Le mécanismes d'infection : Le mécanisme le plus probable qui se dégage de ces travaux résulterait d'un effort de gamétogenèse plus important des huîtres sensibles, qui présentent une plus grande susceptibilité à la montée thermique saisonnière. Cela provoquerait un premier stress, détecté par des réponses moléculaires, qui pourrait expliquer le blocage partiel des pontes des huîtres sensibles. A ce premier événement, viendraient s'ajouter d'autres facteurs de stress, souvent de nature sédimentaire (ammonium et sulfures). Ils provoqueraient des événements de pontes partielles qui semblent favoriser à la fois la prolifération des vibrios et un risque d'infection des huîtres. Cette pression environnementale est alors marquée par des perturbations du système de défense observées au niveau hémocytaire. Les huîtres résistantes sont moins sensibles à la montée thermique et pondent normalement et massivement plus tard. Par ailleurs, les pesticides pourraient constituer un facteur de risque complémentaire car ils affaiblissent l'immunité des huîtres, comme on l'observe en expérimentation, et ils modifient la composition spécifique du phytoplancton, source importante de nourriture chez ces filtreurs.

- La localisation géographique des bassins : Le régime thermique des masses d'eau de l'Atlantique et de la Manche, séparées par le front thermique d'Iroise conduit à observer en moyenne de plus fortes mortalités pour les huîtres en première année qu'en seconde année dans les bassins plus rapidement chauds, au sud de la Bretagne. En revanche, dans les bassins au nord qui sont plus froids, elles sont généralement épargnées en première année, mais meurent en seconde année. Ces observations résulteraient de l'impact de la température sur la vitesse et l'intensité de mise en place de la première reproduction.

- Des agents pathogènes potentiels : De grands progrès ont été réalisés dans la caractérisation de plusieurs agents infectieux bactériens, tels que des bactéries appartenant au groupe des Vibrio splendidus et Vibrio aestuarianus en complément du virus herpes, OsHV-1. Le séquençage complet de l'un de ces vibrios fournit des outils essentiels à la compréhension des modalités d'infection. A ce jour, des mortalités de juvéniles et d'adultes sont associées à leur présence dans une grande répartition géographique. Le virus herpes OsHV-1 est associé à des mortalités principalement de juvéniles lors des périodes supérieures à 20°C. Une grande majorité des mortalités est associée au moins à l'un de ces pathogènes.

Peut-on prévenir et gérer ces mortalités ?

L'existence d'interactions cumulatives entre ces facteurs de risques permet d'envisager des modalités pour prévenir ces mortalités en supprimant l'un des facteurs.
Ainsi, le programme débouche sur une série de recommandations concernant plusieurs modalités de prévention au niveau des pratiques culturales et au niveau environnemental. Ces préconisations tiennent compte du régime thermique de la zone, de la richesse en phytoplancton, de la distance au sédiment et de la présence de bassins versants souvent à l'origine de stress environnementaux, en particulier les années pluvieuses. Elles visent en priorité à prévenir la mortalité la plus importante selon qu'elle intervient en première ou en deuxième année.
Au niveau génétique, il est possible de sélectionner efficacement des huîtres de manière à améliorer leur survie face aux facteurs conduisant aux mortalités. Cette sélection n'affecte pas la croissance des huîtres. D'autre part, les huîtres triploïdes issues du croisement entre géniteurs diploïdes et tétraploïdes se sont avérées plus résistantes aux mortalités que les diploïdes.
Des méthodes d'analyse de risque seront à adapter selon les différents bassins. Des méthodes de prédiction de la date et du niveau du risque sont en cours de validation à partir de données météo. Elles visent à fournir à la profession de outils de gestion de ces risques.

Après le défi Morest

- Deux projets appliqués : le transfert vers la profession

Des réunions avec les représentants de la conchyliculture ont lieu pour mettre en place une procédure de validation de ces méthodes sur le terrain au cours d'une période de trois ans, au sein du projet Qualimer. La thématique de ce projet combine la question de la gestion des mortalités estivales à celle de la qualité sanitaire en fonction de l'environnement. Elles seront traitées en synergie avec la participation de la profession et de PME-PMI spécialisées dans ces domaines. Ce projet a été récemment labellisé par le Pôle de compétitivité MER. Les procédures de financement restent à finaliser.

Par ailleurs, la profession a donné un avis favorable à la mise en place d'un programme de sélection collectif pour améliorer la résistance aux mortalités estivales, ainsi que d'autres caractères d'intérêt. La dimension collective de ce projet est notamment liée à la nécessité de doter ce programme d'une large base génétique. Le montage de ce projet "Gigas+" est en cours de finalisation par les partenaires qui seront principalement impliqués dans sa réalisation (écloseries françaises, Sysaaf et Ifremer).
- Des projets de recherche en amont

La compréhension de l'origine génétique de la résistance des huîtres aux mortalités estivales se poursuit dans le cadre de travaux pour la recherche au sein des projets "BMC" (Bases Moléculaires et Cellulaires de la régulation des fonctions physiologiques et des mécanismes de défense chez les espèces aquacoles cultivées) et "Domestication et amélioration des espèces aquacoles". En effet, il est essentiel de comprendre les mécanismes moléculaires et génétiques qui confèrent cette résistance. Ces travaux devraient déboucher sur de nouvelles méthodes de sélection pour l'aquaculture.
 
Deux jours de restitution pour clore ce défi

Les travaux du défi Morest ont été présentés les 14 et 15 mars 2006 à La Rochelle devant les experts scientifiques internationaux, la profession et les représentants des collectivités territoriales qui ont contribué au financement du défi.
Un ouvrage regroupera les synthèses produites pour mars 2006. Par ailleurs, des fiches techniques concernant les possibilités de gestion des risques sont en cours de réalisation à destination de la profession. Un site internet est également en préparation, qui permettra de visualiser l'ensemble des travaux publiés au cours de ce défi.