Evaluation des stocks de coquilles Saint-Jacques : des résultats variables d’une zone de pêche à l’autre

Paris, le 11 octobre 2006

L’Ifremer a mené cet été deux campagnes d’évaluation des stocks de coquilles Saint-Jacques : la première, COMOR, concerne le gisement classé de la baie de Seine et sa zone nord limitrophe, et la seconde, COSB, celui de la baie de Saint-Brieuc.
Après une phase d’analyse des données, les scientifiques peuvent aujourd’hui communiquer leurs diagnostics sur l’état de la ressource.

Les campagnes COSB et COMOR permettent d’évaluer l’état des ressources en mesurant plusieurs données :
- le recrutement : coquilles du groupe 2 (âge à partir duquel elles commencent à apparaître dans les captures),
- le pré-recrutement : coquilles du groupe 1 (nées en 2005, elles alimenteront les campagnes de pêche 2007-2008 et les suivantes),
- le nombre d’individus âgés de 3 ans ou plus (qui constituent le reliquat des saisons de pêche des années précédentes),
- la biomasse1 adulte, qui inclue l’ensemble des reproducteurs (coquilles de deux ans et plus) car elle constitue un indice du potentiel de reproduction du stock,
- la biomasse exploitable qui ne prend en compte que les coquilles d’une taille supérieure ou égale à 102 mm en baie de Saint-Brieuc ou 110 mm en baie de Seine et en Manche Orientale (zone CIEM VIId).
Dans les deux campagnes, les scientifiques réalisent des coups de dragues sur des points d’échantillonnages tirés au hasard. Ainsi, les stations choisies sont statistiquement représentatives de l’ensemble des secteurs étudiés. Les coquilles récoltées sont alors âgées, mesurées et comptées.
Les données recueillies fournissent donc les indices d’abondance de coquilles Saint-Jacques par classe d’âge et par zone permettant d’estimer la structure démographique de la population et sa répartition sur le fond.

Baie de Seine : des résultats en demi-teinte
Pour la campagne COMOR, 104 traits de drague ont été effectués directement en baie de Seine et 57 dans le « Proche Extérieur » (zone nord directement limitrophe au gisement classé).

Pour la zone « Proche Extérieur », la biomasse totale exploitable est très moyenne (3500 tonnes) en raison d’un recrutement faible (2200 tonnes, représentant plus de 60% de la biomasse disponible) et d’un reliquat (coquilles ayant déjà subi au minimum une saison de pêche) insuffisant. Ce résultat est conforme aux prévisions 2005, basées sur l’estimation d’une cohorte 2004 modeste. La répartition géographique est assez hétérogène. De plus, la croissance observée est faible, ce qui laisse supposer, sous réserve d’une croissance estivale normale, qu’une partie non négligeable du recrutement n’aura pas encore atteint la taille commerciale début octobre 2006, et puisse générer quelques rejets.

La faible croissance observée cette année (la plus mauvaise depuis 1991), peut s’expliquer, pour une partie, par les faibles températures de l’hiver et du printemps 2006 et l’arrivée tardive des blooms phytoplanctoniques printaniers (près d’un mois de retard par rapport à la normale), d’où une disponibilité moindre en nourriture. Cependant, le pré-recrutement 2006 est meilleur que celui observé en 2005, ce qui laisse espérer une arrivée conséquente de coquilles de 2 ans dans la pêcherie en octobre 2007.

En baie de Seine, bien que la biomasse exploitable en 2006 (près de 8000 tonnes) soit deux fois moins élevée qu’en 2005 (17200 tonnes), elle est supérieure à la moyenne décennale (5700 tonnes). Cela résulte de la combinaison d’un recrutement correct et d’un reliquat quantitativement élevé faisant suite à l’exceptionnelle cohorte 2003. Ce constat présage des niveaux de captures tout à fait satisfaisants pour la prochaine saison de pêche. La croissance observée est cependant faible, mais la plupart des coquilles de 2 ans devraient avoir atteint la taille minimale commerciale à l’ouverture de la saison en décembre 2006.
Le pré-recrutement est du même ordre de grandeur que celui estimé en 2005, et devrait permettre de générer un recrutement 2007 sensiblement équivalent à celui de cette année.

Après analyse des résultats de la campagne, les scientifiques du laboratoire « Ressources halieutiques » de la station Ifremer de Port-en-Bessin estiment que le stock de coquilles Saint-Jacques de la baie de Seine est globalement en bon état, même si la structure démographique de la population demeure encore déséquilibrée. Le stock reposant sur peu de classes d’âge (deux, au mieux trois), les débarquements sont largement tributaires de l’arrivée dans la pêcherie d’une nouvelle cohorte : il s’agit typiquement d’une «pêcherie de recrutement».

Baie de Saint Brieuc : une année exceptionnelle
Pour la campagne COSB, qui concerne les coquilles de la baie de Saint Brieuc, les travaux consistaient à réaliser des coups de drague sur 115 stations d’échantillonnage (pris au hasard toujours) sur des distances constantes de 200 mètres.
La biomasse exploitable est répartie de manière inégale sur l’ensemble de la baie de Saint-Brieuc : 50 stations sur les 115 échantillonnées, soit 43%, sont caractérisées par des concentrations fortes d’individus immédiatement exploitables (plus de 0,25 coquilles/m²). Ces stations se trouvent soit dans l’extrême Est/Nord-Est de la baie, soit dans la partie Nord-Ouest.
Si l’abondance des classes exploitables dans le secteur Est résulte de la réussite de plusieurs reproductions (classes nées entre 1999 et 2002), le Nord-Ouest a bénéficié du fait qu’il a été partiellement épargné d’une pression excessive de dragage au cours de la saison de pêche 2005/2006.
Après une nette diminution en 1998 et 1999 (apport faible des classes d’âge nées en 1996 et 1997), la biomasse adulte a connu une forte augmentation en 2000 et 2001, grâce à l’apport des classes d’âge abondantes nées en 1998 et 1999 (1999 étant la classe la plus riche des trente dernières années). En 2002, un accroissement spectaculaire a été observé (24420 tonnes) suivi d’une relative stabilité en 2003 (23920 tonnes). Un palier supérieur a encore été atteint en 2004 et 2005, avec respectivement 31000 et 30100 tonnes.
En 2006, la biomasse adulte est marquée par une légère augmentation (+9%) par rapport à l'année précédente (32850 tonnes contre 30100 tonnes).

La classe née en 2004, qui constitue le recrutement pour la saison de pêche 2006/2007, est estimée à 43 millions d’individus, ce qui correspond à 3800 tonnes de biomasse. Conformément à la prévision de l’Ifremer il y a un an, l’abondance de cette classe est la plus faible depuis le milieu des années 90 (par exemple, l’année dernière, le recrutement était estimé à 7890 tonnes de biomasse). Les conditions climatiques de l'été 2004 semblent avoir contribué de manière défavorable à la reproduction en dépit d'une forte biomasse adulte. De plus, la classe 2004 est caractérisée par des densités faibles (moins de 0,10 coquilles/m²), les valeurs maximales rencontrées se situant à peine à 0,30 individus/m².
Par ailleurs, les coquilles nées en 2004 ont une taille moyenne (93 mm) plus grande que celles de 2003 au même âge. 14% des coquilles nées en 2004 atteignent actuellement la taille réglementaire de 102 mm, soit 730 tonnes de biomasse exploitable. Sous l’hypothèse d’une croissance moyenne continue jusqu’à janvier prochain, la fraction des coquilles supérieures à la taille légale sera de 56%, soit 2510 tonnes de biomasse exploitable.

Le reliquat de pêche, constitué des individus de trois ans et plus, est situé à un niveau sensiblement supérieur à celui de l'an dernier (29050 tonnes contre 22210 en 2005). Dans ce reliquat, les animaux de trois ans sont représentés par 73 millions d'individus, soit 9480 tonnes, tandis que ceux de quatre ans sont évalués à 55 millions, soit 8550 tonnes, ceux de cinq ans à 36 millions, soit 6010 tonnes et ceux de six ans et plus à 28 millions, soit 5010 tonnes.

Enfin, le pré-recrutement est très élevé (242 millions d’individus) : il s’agit de la valeur la plus forte observée depuis longtemps (excepté la classe née en 1999). Malgré son abondance élevée, sa répartition semble assez inégale sur l’ensemble de la baie.

Suite à la campagne COSB 2006, les scientifiques du laboratoire de Biologique Halieutique de Brest considèrent que la situation du gisement coquiller est la meilleure depuis 30 ans, et ce malgré l’apport faible de la classe née en 2004.
L’abondance des classes adultes, la stabilité de leur effectif cumulé (235 millions contre 251 et 250 en 2005 et 2004 respectivement) et de la fraction exploitable constituent autant de garanties à très court terme d’obtenir une bonne saison de pêche 2006/2007 en termes de tonnage. Cependant, les zones riches se trouvent de plus en plus en périphérie du gisement, ce qui pourrait être partiellement lié à une forte pression de pêche, directe ou indirecte, dans les secteurs traditionnellement exploités par les engins traînants.
En outre, les ressources naturelles sont par nature fluctuantes et on ne peut exclure qu’une nouvelle succession de reproductions en-dessous de la moyenne ne fasse basculer l’équilibre et conduise à une période de récession relative. La pauvreté de la classe née en 2004 rappelle le rôle prépondérant du facteur climatique dans les variations et souligne la nécessité d’étaler dans le temps la production des bonnes classes d’âges pour amortir les inévitables « années creuses » en termes de recrutement.
 
1 La biomasse représente ici, pour la zone de prospection, la quantité totale de coquilles Saint-Jacques (en poids) disponible sur le fond.