Extraction en mer : comment le milieu marin panse ses plaies ?
La campagne océanographique RESISTE initiée par l’Ifremer se déroule depuis début novembre sur le site du Pilier au large de l’estuaire de la Loire. Objectif : évaluer la résilience de cette zone exploitée pendant 30 ans comme site d’extraction de sable et gravier marin. Les cicatrices sur le milieu sont-elles profondes ou s’estompent-elles rapidement ? C’est ce que les scientifiques de l’Ifremer vont s’attacher à déterminer jusqu’à la fin du mois à bord du Thalia, navire de la Flotte océanographique française.
Les petits grains de sable du fond de l’océan, éléments a priori banals du paysage maritime, sont une ressource bien plus précieuse qu’on ne l’imagine de prime abord. Dans un contexte où les carrières terrestres se raréfient, ils sont un ingrédient essentiel à la fabrication du béton et sont utilisés pour la poldérisation ou le rechargement du littoral.
Une empreinte forte sur l’environnement marin
L’extraction en mer n’est pas sans conséquences pour le milieu. C’est la raison pour laquelle toute exploitation est soumise à autorisation et à un suivi environnemental en vertu des codes minier et de l’environnement qui s’appliquent dans les eaux sous juridiction française. Dans la liste des impacts généralement recensés, on peut citer une modification de la morphologie des fonds sous-marins liée au creusement d’une dépression qu’on appelle « souille » mais aussi à un changement du type de sédiments rencontrés. Les navires sabliers bouleversent en effet l’équilibre des sédiments en générant un panache de particules fines en suspension. Quant à elle, l’aspiration du sédiment par l’élinde, conduite reliant le navire extracteur au fond, provoque la destruction de la faune habitant sur le sol marin. Ces perturbations fortes du milieu peuvent aller jusqu’à une redistribution de la dynamique de la houle et des courants et conduire à une érosion des plages alentour. Sans oublier les implications pour les communautés de poissons benthiques et démersales[1] qui évoluent au diapason des évolutions des habitats benthiques dont elles dépendent…
… et une résilience des écosystèmes encore méconnue
Si les impacts de l’exploitation des granulats marins sont désormais bien connus, la résilience des écosystèmes touchés, une fois toute activité industrielle arrêtée, l’est beaucoup moins. A quelle vitesse un site peut-il cicatriser ? Est-ce que les résiliences morpho-sédimentaire et des espèces benthiques et halieutiques interviennent de façon synchrone ou à un rythme différent ? Quelles sont les espèces qui réapparaissent en premier ? Les communautés de la macrofaune benthique et de poissons se montrent-elles durablement modifiées ou parviennent-elles à retrouver leur composition initiale ? Les espères ingénieures jouent-elles un rôle dans cette reconquête du milieu ?
Le site du Pilier : cas d’école pour les scientifiques de l’Ifremer
« Certains travaux scientifiques se sont penchés sur le volet de la résilience mais toujours à court terme, explique Laure Simplet, ingénieur géologue à l’Ifremer et l’une des chefs de mission de la campagne RESISTE. L’originalité de notre projet de recherche est de poursuivre un suivi sur une échelle de temps long, jusqu’à dix ans après la fermeture de l’activité industrielle. Le site du Pilier nous a paru intéressant à étudier comme « cas d’école » car il a été durant trente ans l’un des plus importants sites d’extraction français avec 40 millions de m3 prélevés et la présence d’une souille pouvant atteindre 8 mètres de profondeur. Les travaux d’extraction ayant été stoppés en 2017, la nature devrait y reprendre ses droits ».
Géologues, benthologues et halieutes : trio de compétences sur le pont
Autre particularité de la campagne RESISTE, elle embarque à son bord une équipe scientifique multidisciplinaire composée de géologues, de physiciens, de spécialistes des ressources pêchées (halieutes) et d’experts de la macrofaune associée aux fonds marins (benthologues). Cet éventail élargi de compétences permettra d’étudier en détail et en bonne coordination toutes les dynamiques de résilience à l’œuvre sur le site.
« Après deux premières campagnes en 2020, nous réitérons notre batterie de mesures sur les mêmes paramètres pour établir une chronologie régulière de l’état de résilience du site » indique Laure Simplet. Dans la panoplie d’expérimentations prévues : des mesures à l’aide d’outils comme le sonar à balayage latéral et des levés bathymétriques pour cartographier la morphologie des fonds, des bennes et des carottiers pour réaliser des prélèvements in situ et identifier la nature des sédiments. Des prélèvements sur la faune benthique seront également effectués en 7 points du site avec une surveillance vidéo en complément. Les scientifiques embarqueront aussi à bord d’un navire professionnel de pêche qui déploiera son chalut dans la zone anciennement exploitée comme à l’extérieur de ce périmètre pour comparer les populations qui y vivent. Enfin, pour mieux décrypter la manière dont fonctionne la dynamique sédimentaire du site, un mouillage équipé d’un courantomètre et d’un turbidimètre sera installé au cœur de la souille durant un hiver pour tenter de déterminer si l’excavation sous-marine joue un rôle dans la modification des conditions hydrodynamiques et dans le piégeage éventuel de sédiments.
Jusqu’à 1 mètre de vase et une faune dépeuplée
Les premiers résultats collectés en 2020 font apparaître un fort envasement de certains secteurs du site avec des carottes qui totalisent jusqu’à un mètre de vase. Quant à la présence de la vie sous-marine, la recolonisation est en cours : parmi les espèces principales collectées, la telline blanche, Abra alba, qui affectionne particulièrement les environnements sablo-vaseux, Varicorbula gibba, autre mollusque bivalve, et des annélides (Owenia fusiformis, Pectinaria koreni). La campagne 2021 permettra d’approfondir ces premiers résultats et d’expliquer notamment la provenance de cette impressionnante couche de vase.
Élaborer des indicateurs de résilience pour mieux prévenir les impacts
« Une fois collectées et interprétées, ces données nous serviront à définir quels sont les meilleurs indicateurs pour mesurer les effets de l’activité d’extraction. L’objectif serait aussi d’établir des seuils de perturbation au-delà desquels les atteintes à l’environnement sont trop importantes pour permettre la résilience rapide du milieu après exploitation. Ces données s’avèreront également utiles afin d’adapter les mesures de gestion à mettre en œuvre. Elles constitueront aussi une aide pour mieux choisir en amont les sites qui pourraient avoir une plus grande capacité de régénération en fonction des conditions hydrodynamique et sédimentaire, de la résistance et de la résilience des communautés benthiques concernées et de l’adaptabilité plus ou moins forte des communautés de poissons ».
L’ambition : que l’extraction des granulats marins, dont nos sociétés dépendent fortement, s’inscrive dans une perspective plus durable et marque le moins possible l’environnement avec à la clé une « guérison » plus rapide de ses blessures.
[1] Les poissons benthiques vivent sur le fond ou près du fond. Les espèces démersales vivent dans la colonne d’eau au-dessus du fond.