Ces vagues courtes qui résistent au vent
Les vagues qui couvrent la surface des océans sont des phénomènes particulièrement difficiles à observer : mouvantes et variables, elles évoluent rapidement et semblent partir dans toutes les directions. Une étude publiée dans le Journal of Physical Oceanography révèle que ce n’est pas qu’une impression. Si les plus grandes et les plus petites vagues vont bien dans le sens du vent, ce n’est pas le cas des vagues intermédiaires qui se propagent sur les côtés.
Menée par le Laboratoire de physique des océans (CNRS/Ifremer/IRD/UBO), en collaboration avec le SHOM et des partenaires italiens et russes, l’étude permet d’expliquer la croissance des grandes vagues et les risques de submersion qui en découlent en cas de tempête, comme en 2010 pendant la tempête Xynthia.
Des vagues dans tous les sens
Lorsque l’on regarde la mer, les vagues qui déferlent sur la plage ne sont pas les seules présentes : un peu partout à la surface de l’eau, de petites vagues donnent un aspect « froissé » à la mer. Ce sont des vagues courtes, dont la longueur d’onde se situe autour d’un mètre. «Nous avons découvert que pour des vents moyens, ces vagues ne vont pas du tout dans la direction du vent mais sur les côtés, explique Fabrice Ardhuin, directeur du Laboratoire de physique des océans (CNRS/Ifremer/IRD/UBO). Elles se déplacent autour d'un angle de 70 degrés par rapport au sens du vent. » Une découverte étonnante quand on sait que les autres types de vagues, les plus petites et les plus grandes, se déplacent toutes dans la même direction que le vent.
Deux caméras pour mesurer les vagues
Les mesures de ces vagues ont été réalisées en mer Noire, au sud de la côte de Crimée, avec un nouveau système stéréo-vidéo développé à Venise et à Brest.
Le principe est simple : deux caméras vidéo placées à 2 mètres de distance vont filmer le relief de la mer sur une même zone mais sous deux angles différents. Cela va permettre de déterminer la forme de la surface de la mer, comme nos yeux nous permettent de voir le relief. « En pratique, il a fallu un peu ruser pour tirer le meilleur parti des mouvements, contrer le problème des reflets à la surface et améliorer le traitement des données pour mesurer les vagues les plus courtes possibles », précise Fabrice Ardhuin.
Comparée à une bouée, qui ne peut pas voir le détail de la distribution d'énergie en fonction des directions, la vidéo est capable de séparer toutes les composantes du spectre des vagues. Et les résultats sont surprenants : pour un vent de 25 nœuds, il n’y a quasiment pas de vagues qui se propagent dans la direction du vent, pour des longueurs comprises entre 80 cm et 2 mètres. Sur cet intervalle, elles partent toutes dans une direction différente à celle du vent.
« En mer Noire, les vagues sont cependant plus courtes qu’ailleurs car il s’agit d’une mer fermée. Comme les vagues sont plus grandes dans l’océan, il est possible que la longueur d’onde de ces vagues courtes atteigne les 10 mètres », ajoute Fabrice Ardhuin. C’est pour tenter de vérifier cette hypothèse qu’a eu lieu, du 20 au 28 octobre 2015, la campagne « Vagues Larges Bandes », en mer d’Iroise, au large de la Bretagne. Les résultats sont en cours d'analyse.
Une plus grande prise au vent… un danger en cas de tempête
La prise au vent de toutes les vagues dépend de leur vitesse par rapport au vent, mais aussi de leur direction. Les vagues courtes, qui vont moins vite que le vent, ont une plus grande prise au vent que les vagues plus longues et plus lisses qui, elles, se déplacent à une vitesse qui est plus proche de celle du vent. « Ces petites vagues forment des reliefs à la surface des vagues plus grandes, que j’appelle rugosité »,explique Fabrice Ardhuin. Elles sont responsables du frottement du vent à la surface de la mer et de la croissance des vagues dominantes. Ainsi, la puissance d’une grande vague, pourtant lisse et avec peu de prise au vent, peut être renforcée à cause des petites vagues à sa surface qui offrent une plus grande prise aux rafales. Ce renforcement dépend de la direction des vagues courtes ».
Cette analyse des directions des vagues courtes et longues est donc reliée à la manière dont le vent « pousse » l’eau, en provoquant parfois des phénomènes de surcote. La surcote est une variation du niveau de la mer qui s'ajoute à la marée en cas de tempête et contribue aux risques de submersion marine, comme ce fût le cas en 2010 lors de la tempête Xynthia.