Risques sismiques : premiers résultats de la campagne MarNaut du Nautile en mer de Marmara
Paris, le 3 juillet 2007
La campagne océanographique MarNaut s'est achevée en mer de Marmara le 12 juin dernier à bord du navire de l’Ifremer, L’Atalante. C'est la sixième d’une série de campagnes menées depuis 2000, dans le cadre d’une coopération franco-turque, initiée à la suite du séisme de Kocaeli en 1999, un séisme majeur dans cette région étant à redouter. Cette campagne dirigée par Pierre Henry, directeur de recherche au CNRS (CEREGE-Collège de France) avait pour partenaires le CNRS/INSU, l'Ifremer, l'Université Technique d'Istanbul, avec la participation du Collège de France, de Scripps Institution of Oceanography (USA), de Geomar et de l'Université Libre de Berlin. Il s'agissait d’observer et d’échantillonner, grâce au submersible Nautile, les émissions de fluides en relation avec les failles actives et leur impact sur la biologie, ainsi que d’instrumenter la zone. Les objectifs ont été atteints, de nombreuses sources ont été observées en relation avec les failles, l’origine profonde des fluides est attestée par la présence d’hydrocarbures, et des hydrates de gaz ont été constatés à des profondeurs inhabituelles. Les analyses approfondies vont se poursuivre en laboratoire.
La faille Nord-Anatolienne sous surveillance
La région d’Istanbul, peuplée de plus de 12 millions d’habitants, est fortement exposée au risque sismique, du fait de la proximité de la faille Nord-Anatolienne en Mer de Marmara. En effet, le secteur en face d’Istanbul, contrairement aux segments de faille adjacents, n’a pas été affecté par un séisme important au cours du vingtième siècle. On peut donc craindre qu’une rupture majeure se produise dans les prochaines décennies.
La campagne MarNaut, qui s’est déroulée du 12 mai au 12 juin, avait pour but d’étudier les relations entre les sites d'expulsion de fluide et les failles actives. Des émissions de gaz méthane dans la colonne d’eau avaient en effet été observées dans le golfe d’Izmit suite au séisme de 1999. Des cheminées expulsant de l’eau saumâtre au niveau d'un escarpement de faille avaient également été identifiées en 2002, lors d’une précédente campagne de L’Atalante, MarmaraScarps.
Dans ce contexte, la campagne MarNaut avait plusieurs objectifs :
(1) repérer systématiquement les sites d'expulsion de fluide par des moyens acoustiques;
(2) utiliser le Nautile comme engin d'exploration afin de préciser les relations entre failles actives et sorties de fluide;
(3) échantillonner ces fluides afin de déterminer leur nature et leur provenance;
(4) installer des instruments pour la surveillance de trois sites d'expulsion pendant plusieurs mois, en parallèle avec la surveillance de la microsismicité;
(5) échantillonner les encroûtements carbonatés, témoins de l'activité d'expulsion de fluide passée;
(6) évaluer l'impact des expulsions de fluide sur l'activité biologique et microbiologique actuelle, au fond et dans la colonne d'eau;
(7) échantillonner par carottage les dépôts liés aux derniers séismes.
Confirmation d’une corrélation entre expulsion de fluide et failles actives
Les objectifs fixés ont été largement atteints, notamment grâce au soutien de la marine turque qui a assuré la protection du bateau et du submersible dans des zones de trafic intense.
Les méthodes acoustiques de détection ont montré leur efficacité. Par ailleurs, les bonnes conditions météorologiques ont permis de réaliser les 30 plongées du Nautile initialement prévues et la découverte de nouveaux sites. Les fluides (eau et gaz) ont ainsi été échantillonnés sur une dizaine de sites différents, répartis sur l'ensemble de la Mer de Marmara. Trois types de sites ont été échantillonnés pour l'étude microbiologique et biologique et ont été équipés d'instruments. Des bivalves et des tapis de polychètes ont été observés.
Les travaux effectués ont confirmé que les sites d'expulsion de fluide sont associés aux failles actives. Le Nautile a permis d’explorer des zones d'émission de gaz où les bulles s'échappent en minces filets par une multitude de petits conduits perçant à travers des sédiments de couleur noire. Celle-ci témoigne de l’oxydation anaérobique du méthane au niveau des sorties de fluides et l’analyse des prélèvements effectués devrait permettre de préciser la nature des gaz et leur profondeur d’origine. Toutefois, pour l’un des sites, l'origine profonde des fluides expulsés est déjà établie par la présence de traces significatives d'hydrocarbures. Dès à présent, et avant une analyse plus approfondie des données, certains résultats surprenants peuvent être soulignés. Ainsi l'extension vers l'ouest de la rupture du fond de la mer liée au séisme de Kocaeli dans le golfe d'Izmit n'atteint pas son extrémité occidentale, même si les études sismologiques et géodésiques ont mis en évidence une rupture en profondeur. D'importants sites d'expulsion de fluide, associés à des escarpements de faille, ont été découverts sur les bords du bassin de Cinarcik à seulement quelques centaines de mètres des zones explorées par engin téléguidé en 2002. Enfin, des hydrates de gaz ont été identifiés à des profondeurs tout à fait inattendues (666 m et 14,5°C), bien en dehors de leur domaine de stabilité habituel.
Vers un suivi en continu de la mer de Marmara ?
La question désormais posée est celle de l’intérêt de la surveillance des sites d’émission de fluide associés aux failles actives pour l’étude du couplage fluide-déformation et pour la détection éventuelle de précurseurs. Qu'est ce qui fait sortir le gaz et entrer l'eau dans le sédiment après un séisme ? Dans quelles conditions, et suivant quels processus, pourrait-il y avoir des sorties de fluides ou de gaz avant un séisme ? Pour répondre à ces questions, le développement d'un observatoire sous-marin permanent est nécessaire.
L'implantation d'observatoires interdisciplinaires, dans les eaux profondes autour de l'Europe, va devenir une réalité sur différents sites. Les travaux en cours dans le cadre du Réseau d'Excellence Européen ESONET (European Seafloor Observatory Network) et du projet sur les Infrastructures de recherche européennes (EMSO) vont permettre de sélectionner dans les années à venir les sites et de démontrer la faisabilité de ces développements d'envergure.
La Mer de Marmara figure parmi les 12 sites en cours d'étude par ESONET, notamment en raison de ses dimensions réduites, de la proximité des côtes et des enjeux sociétaux liés aux risques naturels. Les résultats obtenus lors de la campagne MarNaut pourront en renforcer l'intérêt scientifique.