Campagne Serpentine: découvrir la diversité des processus géologiques et biologiques sur la dorsale Atlantique

Brest, le 21 février 2007

A bord du Pourquoi pas ?, une équipe franco-russe de 40 scientifiques partira le 26 février prochain de Las Palmas (Iles Canaries) pour explorer pendant 6 semaines 3 champs hydrothermaux situés sur des affleurements de roches du manteau terrestre sur la dorsale Atlantique. Temps fort de la campagne, le site hydrothermal le plus profond actuellement connu dans les océans, Achadze, sera échantillonné pour la première fois grâce au robot téléopéré depuis le navire de l’Ifremer, le ROV Victor 6000. Dirigée par Yves Fouquet, Responsable du programme pluridisciplinaire d’étude des milieux extrêmes dans les grands fonds océaniques (programme GEODE) et du laboratoire de Géochimie et Métallogénie d’Ifremer Brest, la campagne Serpentine rassemblera géologues, géochimistes, biologistes et microbiologistes.
Pourquoi baptiser cette campagne Serpentine ?
En géologie, le manteau est la couche située entre le noyau et la croûte terrestre, partie superficielle et solide du matériau constituant la Terre. Le manteau est en général recouvert de la croûte continentale (plusieurs dizaines de kilomètres d’épaisseur) ou de la croûte océanique volcanique (quelques kilomètres).
Les dorsales océaniques sont des frontières entre plaques divergentes, où se créent les nouveaux fonds océaniques : la dorsale Atlantique s’ouvre ainsi de moins de 2 cm par an.
Lors de la campagne Serpentine, les scientifiques étudieront des zones de la dorsale Atlantique dépourvues d’activité volcanique. Ces déchirures de la croûte sont parmi les rares zones au monde ou l’on peut observer directement le manteau terrestre.
Du fait de l’absence de minéraux hydratés dans la composition du manteau, d’intenses réactions ont lieu lorsque l’eau de mer, ou hydrosphère, pénètre dans le manteau. Ces zones sous-marines représentent ainsi un lieu important de transfert de matière et de chaleur entre l’intérieur de la Terre et l’océan.
La serpentine, ou serpentinite, est une roche qui résulte de la transformation de la péridotite (roche principale ultrabasique du manteau terrestre) sous l'action de l'hydratation et de l'effet de la chaleur. La campagne porte donc le nom de cette roche emblématique des processus qui se produisent au sein des sites hydrothermaux mantelliques.
Les thèmes de recherche : du minéral à la vie…
Les thèmes de recherche de la campagne Serpentine sont multiples et relèvent autant des sciences de la vie que des sciences de la terre. En effet, l'objectif général de la campagne est d'étudier la diversité et les interactions biologiques et géologiques des systèmes hydrothermaux mantelliques situés à de grandes profondeurs.
Un des objectifs principaux des scientifiques est de mieux comprendre les phénomènes d’hydratation et d’échanges chimiques entre l’océan et le manteau terrestre.
Lors de précédentes campagnes, l’équipe du laboratoire Géochimie et Métallogénie d’Ifremer Brest a été la première à démontrer que l’hydrogène est un sous-produit de l’hydratation du manteau. Il est fortement concentré dans les fluides hydrothermaux puisqu’il représente 40 % des gaz contenus. Or l’hydrogène et le carbone libérés du manteau sont les maillons initiaux de production de composés organiques par des réactions minérales. Celles-ci conduisent à la production d’hydrocarbures et potentiellement de molécules prébiotiques. Ces nouvelles données relancent donc l’intérêt des sources hydrothermales comme lieu potentiel d’apparition de la vie sur terre. Les molécules organiques ainsi que l’hydrogène peuvent en effet servir de base à une communauté microbienne spécifique à ces environnements.
C’est pourquoi l’étude des interactions fluides/minéraux/bactéries/animaux tiendra une place prépondérante pendant la campagne Serpentine.
Par ailleurs, une thématique importante de cette mission concerne la caractérisation des amas sulfurés polymétalliques formés par des sources hydrothermales. En effet, les amas sulfurés mantelliques sont les plus riches en métaux « valorisables » (cuivre, zinc, cobalt, argent, or) actuellement connus dans les océans. Ils constituent un type particulier de gisement, pratiquement inconnu dans les gisements fossiles à terre.
Des spécialistes en biologie des environnements profonds seront également présents à bord du navire afin d’étudier la biodiversité et la spécificité de la faune des systèmes hydrothermaux mantelliques (anémones, vers polychètes, crevettes, clams, moules, crinoïdes…). De même, des microbiologistes s’intéresseront aux bactéries dites piezzophiles (c’est à dire adaptées à de fortes pressions), aux plasmides, virus ou autres micro-organismes vivant sous les pressions hydrostatiques extrêmes de ces zones. Ces organismes ont un intérêt particulier puisqu’ils jouent un rôle essentiel dans les cycles biogéochimiques.
Enfin, des études en bathymétrie et magnétisme seront également menées afin d’obtenir davantage de données sur les zones explorées encore mal connues. Le module de mesures en route de Victor 6000 permettra ainsi de dresser des cartes détaillées des sites hydrothermaux et de préciser leur lien avec les failles générées par l’ouverture de l’Atlantique.
Serpentine : les enjeux stratégiques
L’exploration et l’accès aux grands fonds océaniques relèvent de défis scientifiques et technologiques majeurs. Les enjeux scientifiques, économiques et géopolitiques ont pris de plus en plus d’importance depuis quelques années du fait de l’identification de ressources énergiques et minérales, et du nécessaire inventaire de la biodiversité. La France, les Etats Unis, le Japon et la Russie sont à la pointe dans le domaine de la connaissance et de l’exploration des grands fonds, mais les cartes sont en cours de redistribution du fait de l’arrivée en force de la Chine, de la Corée du Sud et de l’Inde. La coopération franco-Russe et la campagne Serpentine permettront à la France et à la Russie de maintenir leur rôle de leader mondial pour la connaissance scientifique des processus hydrothermaux le long de la dorsale Atlantique.
France-Russie : plus de 35 ans de collaboration scientifique
Le premier programme de coopération océanographique entre la Russie et la France, associé à une campagne à la mer, date de 1969. Il s'agissait d'un programme en géosciences marines qui marqua le début d'échanges fructueux et de programmes communs entre l'URSS, puis la Russie, et la France. Témoignage de cette longue et toujours active coopération entre les deux pays, le navire de recherche russe Professor Logachev fit escale en avril 2004 à Brest.
Depuis 35 ans, l’objectif de cette collaboration est de mieux connaître l’océan profond et ses relations avec l’intérieur du globe, de recenser les ressources minérales potentielles et de comprendre l’écologie des systèmes hydrothermaux. A l’avenir, ces connaissances seront essentielles pour une exploitation raisonnable des ressources minérales grands fonds et pour la préservation de l’environnement.
Les zones d’étude de Serpentine
Aux larges des Antilles, trois zones hydrothermales seront étudiées lors de la campagne Serpentine. Ces sites ont été découverts récemment et deux d’entre eux seront échantillonnés par un robot sous-marin pour la première fois. Ils sont donc quasiment vierges de toute exploration :
- Achadze (13°N). Situé à plus de 4100 mètres de profondeur, il s’agit du site hydrothermal le plus profond actuellement connu au monde. Les scientifiques ont déjà détecté sur ce site actif (fumeurs) la présence de roches ultrabasiques serpentinisées et d'animaux.
- Logatchev (14°45'N). Situé à 2970 m de profondeur, il ressemble dans sa composition minéralogique au site Rainbow (Açores), déjà exploré lors de précédentes campagnes. Des colonies animales sont également présentes sur ce site actif.
- Krasnov (16°38). Il s'agit d'une zone de monts de sulfure située entre 3700 et 3900 m. C'est le plus gros amas de sulfures actuellement connu dans l'océan Atlantique. Il semble inactif et en voie de dissection (découpage en deux parties) par les failles du mur du rift. Si tel est le cas, une coupe géologique naturelle sera visible, permettant d'étudier et d'échantillonner la troisième dimension du dépôt hydrothermal. Ce site permettra de comprendre le devenir des dépôts hydrothermaux et de l'activité biologique lorsque l'activité s'arrête.

Pour suivre la campagne Serpentine :
http://www.ifremer.fr/serpentine/