Campagne européenne d'évaluation des ressources halieutiques en mer du Nord et en Manche orientale

Paris, le 1er février 2007

Dans le cadre du programme International Bottom Trawl Survey (IBTS ), le Laboratoire Ressources Halieutiques du centre Ifremer de Boulogne-sur-Mer mènera pendant près d’un mois la campagne IBTS, en Manche Orientale et en mer du Nord. L’équipe constituée de 22 scientifiques a embarqué le 27 janvier dernier sur la Thalassa au départ de Brest. Réalisée en collaboration avec six partenaires européens et coordonnée par le Conseil International pour l'Exploration de la Mer (CIEM), cette campagne permettra de calculer un indice d’abondance pour les principales espèces de poissons commerciaux exploitées dans cette zone.

Un programme européen pour une gestion durable des ressources
 La connaissance de l’état et de la dynamique des stocks est un préalable indispensable à la définition des mesures de gestion. Lors des campagnes IBTS, des observations et analyses sont réalisées de manière coordonnée par les navires de recherche européens qui participent au programme. Les informations recueillies sont utilisées par les groupes de travail du CIEM pour établir les diagnostics et recommandations qu’ils fournissent à la Commission européenne, et qui sont un élément d’aide aux décisions de gestion des pêches communautaires.
Les premières campagnes en mer du Nord ont été mises en place par les Pays-Bas dans les années 60. L’objectif était d’étudier la distribution et l’abondance des jeunes harengs afin de localiser les zones de frayères1 . Ces premières investigations étaient alors regroupées sous le nom de International Young Herring Survey (IYHS). Dès 1974, l’échantillonnage s’est étendu à l’ensemble de la mer du Nord et aux principaux poissons de la famille des Gadidés2 . Le programme a été alors renommé International Young Fish Survey (IYFS). L'Ifremer y participera à partir de 1976. Depuis, l’Institut conduit au premier trimestre de chaque année une campagne de prospection en mer du Nord.
Le programme IYFS a été élargi en 1990 à trois nouveaux pays (Irlande, Espagne, Portugal) afin d’intégrer les campagnes réalisées dans l’ouest Atlantique (dont les campagnes EVHOE3 , réalisée par l’Ifremer dans le golfe de Gascogne), et de standardiser les protocoles et techniques d’échantillonnage. Depuis 1996, ce programme cofinancé par l’Union européenne4 , est coordonné par le CIEM et a été renommé International Bottom Trawl Survey (campagnes internationales de chalutage de fond).
Une méthodologie et des moyens scientifiques adaptés
 Lors des campagnes IBTS, les scientifiques recueillent les données qui permettent le calcul direct d’indices d’abondance. Les séries temporelles constituées depuis plusieurs décennies permettent d’estimer les tendances et d’apprécier les variations inter-annuelles des différents stocks de poissons commerciaux exploités en mer du Nord (merlan, morue, églefin, tacaud norvégien, hareng, sprat, maquereau et plie). Les données recueillies lors des campagnes sont également utilisées dans de nombreux travaux de recherche sur la distribution et la biologie de ces différentes espèces. Ainsi ont-ils notamment permis de mettre en évidence les déplacements latitudinaux de certaines populations de poissons suite au changement de régime climatique qui s’est produit en mer du Nord au milieu des années 80.
Afin que les résultats obtenus d’une année à l’autre soient fiables et comparables, une méthodologie rigoureuse a été définie au niveau international : le protocole d’échantillonnage repose sur des stations de prélèvements dans des rectangles de 30 minutes de latitude et d’un degré de longitude, sur l’utilisation d’un engin de capture standard, et sur la couverture de chaque zone par deux navires de recherche différents.
L’utilisation d’un chalut de fond avec un maillage de 10 mm de côté (chalut G.O.V5 36/47) permet notamment aux scientifiques d’étudier l’abondance des juvéniles des différentes espèces de poissons (groupes d'âge 0 et 1 an), information que l’analyse des captures des navires de pêche ne fournit pas. L’analyse combinée de ces deux sources d’informations (données « scientifiques » et données « commerciales ») permet de reconstituer l'effectif de chaque cohorte6 d’une population de poisson exploitée par la pêche. Les campagnes IBTS permettent ainsi d’établir un diagnostic actualisé sur les populations ciblées, y compris leur renouvellement grâce à l’estimation de l’abondance des juvéniles.
De plus, des indices d’abondance larvaire sont également calculés pour certaines espèces. C’est le cas pour le hareng, dont une partie des prises est constituée des groupes d’âge 0 et 1. Pour estimer au plus tôt le « recrutement » (c’est-à-dire l’arrivée de la nouvelle cohorte qui assure le renouvellement du stock), un échantillonnage de larves est réalisé de nuit à l'aide d'un engin de capture spécifique. Ces résultats sont utilisés immédiatement après la campagne par le groupe de travail du CIEM chargé d’évaluer l’état des stocks de hareng de la mer du Nord.
Outre les travaux réalisés dans le cadre du programme (chalutage de fond le jour et échantillonnage des larves la nuit), les scientifiques mèneront une prospection acoustique et une étude de la répartition des frayères en utilisant un système de pompage en continu des œufs de poisson, le CUFES ( Continuous Underwater Fish eggs Sampler).
IBTS 2007 vise à répondre aux attentes des professionnels et les associe à la campagne
Depuis près de 20 ans, pour cette campagne, la zone d’échantillonnage allouée à la France concerne la moitié sud de la mer du Nord. Dans les évaluations de la plupart des stocks de poissons, la Manche orientale est associée à la mer du Nord, les interactions et les échanges entre ces deux bassins étant importants.
Le stock de hareng de la mer du Nord est constitué de trois grands groupes qui se reproduisent à des périodes et dans des zones différentes. L’un d’entre eux, le « hareng des Downs », pond en Manche en fin d’année avant de retourner en mer du Nord vers le mois de février. C’est donc traditionnellement de novembre à février que la pêche du hareng s’intensifie en Manche.
Cependant, depuis deux ans, les pêcheurs boulonnais observent des concentrations importantes de harengs plus tard dans la saison. Au début du mois de mars 2006, par exemple, les détections restaient importantes à proximité de Boulogne, alors qu’auparavant, à la même époque, le hareng rejoignait déjà les zones d’alimentation en mer du Nord.
Pour répondre à la demande des professionnels concernant le suivi scientifique du hareng en Manche orientale, l'Ifremer a étendu, pour cette ressource, la zone de prospection du programme IBTS vers l'ouest (jusqu’au méridien de Greenwich). Ainsi, le groupe de travail international IBTS a élargi cette année l’emprise d’application de son protocole de prospection, en concertation avec le Herring Assessment Working Group du CIEM.
Avant de rejoindre le sud de la mer du Nord, Thalassa échantillonne donc actuellement toute la moitié nord de la Manche orientale, en collaboration avec le navire scientifique néerlandais qui prospecte la même zone au même moment, en pleine période de pêche au hareng. Deux professionnels de Boulogne-sur-mer suivent à bord du navire cette étape de la campagne en tant qu'observateurs.
Actuellement, l’état du stock de hareng est considéré comme satisfaisant. Lors de la dernière évaluation du Groupe de travail en 2006, la biomasse féconde a été estimée à 1,7 millions de tonnes, soit un niveau supérieur à celui fixé par l’accord entre l’Union européenne et la Norvège (1, 3 millions de tonnes). Cependant, la mortalité par pêche des adultes est supérieure au niveau préconisé dans le cadre de la démarche de précaution. De plus, les recrutements des quatre dernières années ont été les plus faibles observés depuis plus de vingt ans. Selon le groupe de travail du CIEM, la biomasse de hareng adulte a d’ores et déjà diminué en 2005 et une baisse rapide apparaît prévisible à court terme.
La prospection menée pendant les cinq premiers jours de la campagne IBTS permettra de répondre à la demande des professionnels, et aussi d’appréhender les raisons de ce phénomène. Les mortalités hivernales importantes des larves sont à l’origine de la baisse du recrutement. Une des hypothèses : les changements observés dans les communautés planctoniques, entraînant des modifications dans les chaînes trophiques, provoqueraient un déficit de nourriture pour les larves.
1. Frayère : zone de reproduction d’une espèce.
2. Gadidé : vaste famille de poissons vivant à proximité du fond sur le plateau continental, comprenant notamment le merlan, le lieu noir, l’églefin et la morue.
3. EVHOE : EValuation Ressources Halieutiques de l’Ouest de l’Europe.
4. L’Union européenne a pour ambition la mise en place d’un « tableau de bord » d’indicateurs d’états et d’évolution des pêcheries communautaires, en soutien de la politique commune de la pêche (PCP).
5. G.O.V : Grande ouverture verticale.
6. Cohorte : ensemble des individus nés une même année.