Campagne Serpentine : retour de plongée sur le site hydrothermal le plus profond du monde…

Paris, le 26 avril 2007

La campagne franco-russe Serpentine s'est déroulée à bord du navire océanographique Pourquoi pas ? du 26 février au 6 avril 2007 sur la dorsale atlantique entre 13° et 17°N. Son objectif scientifique consistait à préciser les variabilités géologiques, géochimiques, biologiques et microbiologiques des processus hydrothermaux associés aux roches du manteau à l’axe des dorsales lentes, rares lieux où le manteau terrestre est porté à l’affleurement. Dans ces zones, la réaction entre l’océan et le manteau produit une roche hydratée : la serpentine.

Une campagne franco-russe multidisciplinaire
Six instituts et organismes français étaient représentés à bord du Pourquoi pas ? : l'Ifremer, l'IPG Paris VI, l'ENS Paris XI, l'UMPC Roscoff, l'UBO UMR7127 et le CNRS. Côté russe, six scientifiques issus de cinq instituts ont participé à la campagne : l'IGEM de Moscou (métallogénie, géochimie), l'IGMRO de Saint-Petersbourg (ressources minérales océaniques, géochimie), le Shirshov Institute de Moscou (biologie), le Vernasky Institute de Moscou (Géologie, géochimie des roches) et le Winogradsky Institute de Moscou (microbiologie).
Les thèmes de recherche de la campagne Serpentine relevaient autant des sciences de la vie que des sciences de la terre. C’est pourquoi cette mission, dirigée par Yves Fouquet, responsable du laboratoire de Géochimie et Métallogénie d’Ifremer Brest et du programme pluridisciplinaire d’études des milieux extrêmes dans les grands fonds (programme GEODE), rassemblait géologues, géochimistes, géophysiciens, biologistes et microbiologistes.

Neuf plongées ont ainsi été réalisées pendant Serpentine, pour une durée totale de 309 heures et 144 kms parcourus sur le fond, dont 96 kms consacrés à la cartographie haute résolution près du fond. Pendant ces plongées, 22 fluides hydrothermaux, 50 échantillons d’eau, 255 échantillons biologiques et 128 roches ont été prélevés par Victor 6000. Entre les opérations de plongées, ce sont 10 dragages, autant d'opérations de bathysonde et des profils magnétiques qui ont été réalisés.

Trois nouveaux sites actifs identifiés… des caractéristiques biologiques à élucider
Trois nouveaux sites hydrothermaux actifs de haute température ont été découverts lors de la campagne : Ashadze 1, Ashadze 2, Logatchev 2. Cela multiplie par 2 le nombre de sites actifs actuellement connus sur des roches du manteau. Un site inactif (Logatchev 5) a aussi été découvert. Ashadze 1 est aujourd'hui le site hydrothermal le plus profond. Autre originalité de ce site, les scientifiques ont pu observer des bulles de gaz dans les fumeurs.
Les plongées sur le site hydrothermal Krasnov, à 16°38N, confirment qu’il s’agit de la plus grande accumulation de sulfures massifs actuellement connue dans les océans.
Par ailleurs, la faible salinité sur le nouveau site Logatchev prouve l’existence d’une émission de phase vapeur condensée pour un système mantellique et indique des températures supérieures à 400°C en profondeur.

Ashadze, Logatchev, Krasnov : des hommes de science
 Ashadze, Logatchev et Krasnov sont les noms des sites hydrothermaux de la campagne Serpentine. Ce sont également des chercheurs russes à qui la communauté scientifique rend hommage…

- Logatchev : professeur en géophysique du Mining Institute de Saint-Pétersbourg, il fut l'un des inventeurs des premiers magnétomètres utilisés pour l'exploration océanographique. Le navire russe Professor Logachev, construit en 1991, lui rend hommage.

- Ashadze (1957 - 2001) était un géologue du Polar Marine Geosurvey Expedition de Saint-Pétersbourg. Il a participé à de nombreuses missions sur la ride médio-atlantique pour explorer et étudier les zones hydrothermales.

- Krasnov (1952 - 1996) était un géologue marin du VNIOOkeangeologia de Saint-Pétersbourg. Il a été un des premiers scientifiques russes à s'intéresser à l'hydrothermalisme océanique. Il a représenté la Russie dans le cadre du programme InterRidge et a publié de nombreux papiers sur les processus hydrothermaux.

En biologie, les scientifiques ont notamment découvert sur les sites Ashadze une faune fortement différente de celle des autres sites de l’Atlantique. Elle est dominée par les anémones, les crevettes et les vers tubicoles.
Sur le site Logatchev 2, la présence d’importants champs de moules mortes a étonné les scientifiques. Les coquilles sont intactes, récentes et semblent témoigner d’un événement catastrophique ayant détruit très rapidement l’environnement favorable à la croissance de ces moules.

Une révolution : les cartes de haute résolution !
Jusqu’à présent, les cartes obtenues depuis la surface avec un sondeur multifaisceaux n’avaient pas une résolution suffisante (100 m) pour des travaux précis d’exploration et d’échantillonnage.
Durant la campagne Serpentine, un temps significatif des plongées a donc été consacré à la réalisation de cartes bathymétriques haute résolution près du fond, rendue possible grâce au module de mesures en route de Victor 6000. Celui-ci a été utilisé au maximum de ses capacités d’emport pour acquérir le plus d’informations possible sur la composition de l’eau près du fond (analyse in situ du manganèse), les paramètres physiques dans la colonne d’eau (turbidité, température…) et les données magnétiques.
Les cartes obtenues, retraitées à bord quelques heures après la fin de la plongée, ont une résolution de quelques dizaines de centimètres et permettent de mener les opérations sous-marines dans d’excellentes conditions. Sans elles, Logatchev 2 n’aurait pas été localisé. Ce type de cartes acquises pour la première fois sur une dorsale par 4000 m de profondeur, révolutionne la compréhension des processus tectoniques, gravitaires et hydrothermaux sur les dorsales.
Par ailleurs, la caméra longue portée OTUS a permis de réaliser une mosaïque photo générale des zones hydrothermales actives à 8 mètres du fond.
Sur les trois sites hydrothermaux, les cartes réalisées révèlent pour la première fois l’importance des processus gravitaires associés au rifting et à l’extrusion des roches du manteau.

La technologie au service de la science
 La campagne doit principalement son succès :
1) aux nouvelles capacités offertes par l’arrivée du Pourquoi pas ?
2) à la maturité du submersible Victor 6000 et à l’arrivée du module de mesures en route ;
3) à l’expérience et à la pluridisciplinarité de l’équipe scientifique ;
4) à la complémentarité de la coopération franco-russe.

L’un des points remarquables du navire océanographique de l'Ifremer Pourquoi pas ? est la qualité de son positionnement dynamique. Les opérations de bord ou avec les engins ont été menées avec une précision qui n’aurait pas été envisageable sur un autre navire à de telles profondeurs (4000 m). Le module de mesures en route a également révolutionné la manière de travailler sur une telle campagne qui associait exploration et échantillonnage.

Revivez la campagne Serpentine sur le web :
http://www.ifremer.fr/serpentine/