Les champs de nodules polymétalliques, hauts lieux de la biodiversité
On pensait que les champs de nodules, ces réservoirs de minerais situés à 4000 mètres de profondeur, étaient quasiment dépourvus de biodiversité : il n’en est rien. Dans ces plaines abyssales, se trouve une faune particulièrement diversifiée : les zones avec nodules abritent même encore plus de biodiversité que celles sans !
C’est ce qu’a découvert une équipe scientifique internationale, réunissant des chercheurs français (Ifremer), allemands (Senckenberg am Meer), belges (Ghent University) et portugais (IMAR & University of Aveiro). Menée dans le cadre d’une action pilote du consortium européen JPI Ocean, dédiée aux impacts écologiques de l’exploitation minière dans les fonds marin, leur étude a été publiée le 1er juin 2016 dans la revue Scientific Reports de Nature. Elle a été réalisée à la suite d’une campagne en mer (SO-239) à bord du navire océanographique allemand Sonne, dans la zone de fracture de Clarion-Clipperton, dans le Pacifique. Cette découverte souligne la nécessité de mettre en place des stratégies de préservation de la biodiversité avant d’envisager une exploitation.
Les nodules polymétalliques, c’est quoi ?
Les nodules polymétalliques se trouvent au fond des océans, dans les profondeurs dites « abyssales », entre 4000 et 5000 mètres de profondeur. « Ce sont des sortes de gros galets qui agrègent les minerais présents dans l’eau », explique Lénaïck Menot, chercheur au Laboratoire Environnement Profond du Centre Ifremer Bretagne.
Constitués de manganèse, fer, silicium, aluminium ou cobalt, ces nodules sont présents en forte concentration dans l’océan Indien et l’océan Pacifique. Et dans un contexte international de hausse de la demande en métaux, leur intérêt économique est évident.
« Jusqu’à présent, la biodiversité associée aux champs de nodules était peu connue, en raison notamment des difficultés d’accès à ces régions profondes. Mais considérant le fort impact qu’une activité minière pourrait avoir sur ces zones, comprendre la distribution des espèces est essentiel.»
Une biodiversité deux fois plus dense dans les zones de nodules
L’étude a été menée dans la zone de fracture de Clarion-Clipperton (CCZ), l’une des régions de la planète qui compte la plus grande densité de nodules et qui, de fait, est convoitée pour son potentiel en ressources minérales marines. Depuis plusieurs dizaines d’années, plusieurs permis ont été délivrés à différents pays afin d’explorer cette zone.
Les résultats montrent la présence d’une faune à la fois riche et abondante, proportionnelle à la concentration de nodules : en effet, les espèces détectées sont deux fois plus importantes dans les zones plus denses en nodules polymétalliques.
« Pour en arriver à cette conclusion, nous avons observé le fond océanique sur cinq sites différents, précise Lénaïck Menot. Notre objectif était d’identifier, en temps réel, la composition et la densité de la faune mobile et sédentaire comme les poissons, les crustacés, les coraux ou les éponges ».
Des sites très perturbés après des actions humaines
« Il s’agit de la première étude qui s’intéresse à autant de sites différents. Nous avons comparé des zones naturellement riches ou pauvres en nodules et des sites qui ont été dragués, il y a quelques mois ou plusieurs dizaines d’années, pour des raisons scientifiques ou industrielles, lorsqu’il n’y avait pas encore de régulation dans l’exploration des eaux internationales. »
Et le verdict est sans appel. « Dans les zones où le fond océanique et les premiers centimètres de sédiments ont été raclés pour récupérer les nodules, la faune a été profondément affaiblie et n’a pas recolonisé les lieux. » Un constat qui s’applique autant pour les zones récemment sinistrées que celles qui ont été draguées il y a plus de 30 ans.
« Dans le milieu abyssal, dominé par de grandes plaines sédimentaires, les nodules constituent un type d’habitat unique, notamment pour les coraux ou les éponges qui peuvent s’y accrocher. Lorsqu’on les enlève, non seulement cet habitat disparaît mais les couches de sédiments sont elles aussi bouleversées. Cela pourrait conduire à une perte importante de la biodiversité à l'échelle des zones exploitées, qui pourrait ne jamais revenir, étant donné que les nodules mettent plusieurs millions d’années à se former. »
La mise en place de zones de préservation
Ces résultats mettent ainsi en exergue la nécessité d’élaborer des stratégies de préservation de la biodiversité dans les zones riches en modules. « Il existe actuellement plusieurs zones protégées, les APEI (Area of Particular Environmental Interest), autour de la zone de Clarion-Clipperton. Elles ont été mises en place par l’Autorité Internationale des fonds marins (AIFM) et interdisent toute activité d’exploration ou d’exploitation. Cependant, il n’y a encore rien au cœur de la fracture de Clarion-Clipperton , là où se trouvent les nodules les plus riches en minerais, là où se concentrent tous les permis et là où se situe la biodiversité la plus dense. »
Par ailleurs, l’AIFM oblige les contractants à identifier des sites de préservation (PRZ –Preservation Reference Zone) au sein des zones concernées par les permis. Mais pour l’instant, aucun critère n’a été mis en place pour aider à la délimitation de ces sites. « Le risque, c’est que les contractants choisissent des sites de préservation dans des zones qui ne présentent pas un grand intérêt économique. Or, au vu de nos résultats, ces zones ne seraient pas représentatives de la biodiversité des sites exploitées. »
C’est pourquoi les scientifiques à l’origine de l’étude soulignent l’importance, pour les industriels et les décideurs politiques, de prendre en compte la biodiversité des zones de nodules dans leurs futures décisions.
La campagne SO-239, coordonnée par le Senckenberg am Meer, Wilhelmshaven, Allemagne, contribue à une action pilote du consortium européen JPI Oceans. Cette action pilote porte sur les aspects écologiques de l’exploitation minière par grands fonds (www.jpio-miningimpact.geomar.de), coordonnée par l’institut de recherche allemand GEOMAR Helmholtz Centre for Ocean Research Kiel.
La zone de fracture Clarion-Clipperton
La zone Clarion-Clipperton (Clarion-Clipperton Zone – CCZ) est une zone géologique sous-marine qui se situe dans le nord-est du Pacifique, entre l’archipel d’Hawaï et la côte ouest du Mexique. Elle représente une surface de 9 millions de km2, dans laquelle le poids des nodules atteindrait 34 milliards de tonnes, dont environ 340 millions des tonnes de nickel, et 275 millions de tonnes de cuivre.
L’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) a attribué à la France un secteur de 75.000 km2 en vue de l’exploration des nodules polymétallique. Les recherches actuelles menées par l’Ifremer sur cette zone bénéficient des connaissances apportées par le CNEXO (ancêtre de l’Ifremer) entre 1970 et 1988. Depuis 2001 et sous le patronage de l’Etat français, l’Ifremer est titulaire auprès de l’AIFM d’un contrat d’exploration des nodules polymétalliques dans la zone de Clarion-Clipperton. Le contrat indique notamment l’obligation d’effectuer un état de référence de l’écosystème benthique, c'est-à-dire de décrire les communautés animales présentes sur le fond, ainsi que les caractéristiques de leur habitat. Deux campagnes océanographiques ont été menées par l’Ifremer afin de décrire, comprendre et comparer la distribution des espèces dans les zones avec et sans nodules, Nodinaut en 2004 puis BIONOD en 2012, en collaboration avec le bureau de recherche géologique allemand. Les données recueillies pendant la campagne de l’Ifremer, Nodules 2015, permettront notamment d’établir la cartographie des habitats benthiques dans cette même zone.