Hermine : une campagne de service public pour explorer les richesses minérales des grands fonds
Du 17 mars au 28 avril 2017, une équipe pluridisciplinaire de l’Ifremer, composée de chimistes, de géologues et de biologistes, embarquera pendant 45 jours à bord du navire Pourquoi Pas ?, pour explorer les volcans sous-marins situés le long de la dorsale médio-atlantique.
Sur une zone de plus de 800 km de long, à mi-chemin entre le Cap vert et les Iles Canaries, à la frontière des plaques africaines et américaines, les scientifiques pourront cartographier et échantillonner des dépôts hydrothermaux riches en métaux. Objectif majeur de la campagne: découvrir et étudier de nouveaux champs hydrothermaux inactifs. Sous le patronage de l’Etat, l’Ifremer mène la campagne Hermine dans le cadre du permis accordé à la France par l’Autorité Internationale des Fonds Marins (AIFM) pour l’exploration des sulfures polymétalliques. Il s’agit d’une campagne de soutien à la politique publique française, inscrite dans le contrat signé en 2014 entre l’Ifremer et l’AIFM pour une durée de 15 ans.
De la chaleur terrestre libérée par les sources hydrothermales
La présence de sulfures polymétalliques au fond des océans résulte de l’activité volcanique et de la tectonique des plaques. «Une partie de la chaleur terrestre est libérée par les sources hydrothermales, communément appelés ‘fumeurs noirs’: des fluides chargés en métaux s’échappent du plancher océanique à des températures de plus de 350°C, ces fluides sont brutalement refroidis au contact de l’eau de mer froide (2°C). C’est là que les dépôts de sulfures s’accumulent », explique Yves Fouquet, chef de la mission Hermine et géologue au Laboratoire Cycles Géochimiques et Ressources au Centre Ifremer Bretagne (Brest). Les sulfures hydrothermaux peuvent être riches en métaux de base (cuivre, zinc, plomb), en métaux précieux (argent, or) et parfois en éléments et métaux rares (baryum, cobalt, antimoine, indium, sélénium, germanium, tellure, bismuth). La nature des sulfures peut fortement varier en fonction de la température, de la profondeur ou encore du type de roche présent à l’endroit de la faille. Les zones qui seront explorées et étudiées lors de la campagne Hermine se trouvent à des profondeurs comprises entre 3000 et 4500 m mètres.
« Pendant nos 45 jours en mer, nous déployons un véritable concentré d’expertises scientifiques. Compte tenu de la variété des thèmes étudiés, je dirais que nous faisons trois campagnes en une seule campagne. Un vrai défi de découverte et d’exploration pour l’Ifremer » souligne Yves Fouquet.
Evaluer l’impact d’une éventuelle exploitation sur les champs hydrothermaux inactifs
Un des objectifs majeurs de la campagne est de découvrir et d’étudier des champs hydrothermaux inactifs. Ces sites fossiles restent aujourd’hui peu connus bien qu’ils présentent le potentiel minier le plus important. « Les sites en activité sont plus faciles à repérer grâce aux fluides chimiques qu’ils rejettent. Ils ont donc déjà été largement échantillonnés et recensés à travers le globe. Toutefois, ils ne peuvent présenter un intérêt en tant que ressources minérales exploitables. D’une part parce que les conditions extrêmes qui y règnent (forte pression, températures proches de 350°C, acidité des fluides) rendraient difficile le travail d’extraction et d’autre part parce que la vie y est foisonnante grâce à l’énergie chimique fournie par les fluides. Une exploitation des sites actifs ferait courir d’importants risques pour la biodiversité », souligne Ewan Pelleter, géologue à l’Ifremer et co‐chef de mission. Les champs hydrothermaux fossiles sont estimés jusqu’à 10 fois plus nombreux et l’activité biologique qui leur est associée est faible et mal connue. La technologie déployée sur la campagne Hermine permettra de localiser et d’examiner ces minéralisations endormies.
Étude détaillée d’un panache hydrothermal
La campagne permettra aussi de caractériser ‐ par des prélèvements d’eau de mer à l’aide de deux systèmes bathysonde/rosette ‐ l’apport de métaux dans l’océan par les panaches hydrothermaux, ces fumées qui montent et s'étalent dans la colonne d'eau sur plusieurs dizaines de kilomètres. Par ailleurs, la campagne permet de réaliser des échantillonnages géologiques et biologiques sur des sites ciblés. « Il est important de connaitre le flux naturel des métaux émis dans l’océan par les panaches hydrothermaux. Cela permet de comprendre le rôle des sources hydrothermales dans le bilan géochimique des océans mais aussi de préparer les études d’impact d’éventuelles activités minières sur les écosystèmes » précise Cécile Cathalot, chimiste à l’Ifremer et co‐chef de mission.
Le sous‐marin Nautile déployé lors de la campagne
Le sous‐marin habité Nautile, capable de descendre à plusieurs milliers de mètres de profondeur, sera déployé pour explorer de nouvelles cibles, réaliser des prélèvements de roches et de minéralisations, étudier les structures tectoniques et volcaniques, observer localement la biodiversité et réaliser des prélèvements biologiques sur le fond. Cette mission répond à des objectifs multiples : évaluer les quantités de métaux présents sur les dorsales océaniques et mieux connaître les processus géologiques, chimiques et biologiques à l’oeuvre.
Les ressources minérales marines : des enjeux géostratégiques internationaux
La croissance économique et démographique mondiale induit une demande en métaux qui restera forte dans les décennies à venir. La diversification des sources d'approvisionnement est désormais un élément majeur dans la stratégie économique européenne. Dans ce contexte, les Etats et les industriels s’intéressent de plus en plus au potentiel des océans, dont les richesses minérales sont aujourd’hui mal évaluées. Les sulfures polymétalliques constituent actuellement les minéralisations les plus prometteuses en milieu marin, même si les perspectives d’exploitation sont encore lointaines. En effet, des obstacles significatifs demeurent : cadre institutionnel, défi technologique, rentabilité économique et impact environnemental. La France a obtenu en 2014 et pour une durée de 15 ans un permis d’exploration des champs hydrothermaux d’une région de l’océan Atlantique. Des licences d’exploration ont également été remises à l’Allemagne, la Russie, la Chine, la Corée du Sud et l’Inde.