Fonte des hydrates de méthane en Mer Noire : entre 40 et 200 milliards de m3 de méthane pourraient être libérés
Un article, publié le 9 janvier dans Nature Communications, montre que les hydrates de méthane présents en mer Noire sont en train de fondre à cause de la diffusion du sel dans les sédiments. Cette dissociation pourrait libérer de grandes quantités de méthane dans la colonne d'eau et potentiellement dans l’atmosphère, augmentant les risques d’avalanches sous-marines et l'acidification de la mer Noire. Pour la première fois, les résultats démontrent l'importance de l’évolution de salinité de cette mer, qui est l’une des plus isolées du monde, sur la stabilité des hydrates de gaz. Selon les calculs des chercheurs de l’Ifremer et de GeoEcoMar (institut national roumain de géologie marine), une zone de 2 800 km2 serait concernée.
Les hydrates de méthane ont l’apparence et la consistance de la glace. Ce sont des molécules de gaz enfermées dans une cage d’eau. Dans la nature, ils sont stables sous certaines conditions de température et de pression. Nous les trouvons à terre, dans les régions proches des zones arctiques (permafrost), et en mer sur toutes les marges continentales. Ils représentent un risque à deux niveaux. D’une part au niveau du climat. Le méthane est un gaz à fort effet de serre (25 fois supérieur à celui du CO2), ayant donc un impact sur le changement climatique s’il se libère dans l’atmosphère. Inversement, le changement climatique induit un réchauffement des eaux du globe qui déstabilise les hydrates de méthane. D’autre part, la déstabilisation des hydrates de méthane peut générer des glissements de terrain sous-marins importants se traduisant par un risque de tsunami.
La mer Noire, un ancien lac
Jusqu’ici, seule la déstabilisation des hydrates causée par des changements de température et de pression (variation du niveau des océans par exemple) avait pu être observée sur le terrain par les scientifiques. « L’impact des changements de salinité était connu en laboratoire, mais n’avait jamais été démontré sur site », explique Vincent Riboulot, chercheur en géosciences marines à l’Ifremer. Les résultats publiés dans Nature Communications montrent que la mer Noire peut être considérée comme le premier chantier naturel permettant de surveiller en direct l’effet de la variation de salinité sur les hydrates de méthane.
Ce phénomène s’explique par son histoire géologique récente et par son lien à la mer Méditerranée via le détroit du Bosphore (profondeur moyenne de 35 m). Depuis plus de 800 000 ans, les variations globales du niveau marin, qui ont pu atteindre jusqu’à -120 m durant les phases glaciaires, sont à l’origine de plusieurs phases successives de connexion/déconnexion entre la mer Noire et la mer Méditerranée. Ainsi, la mer Noire fut tantôt un lac d’eau douce, tantôt une mer isolée d’eau salée.
Depuis la dernière reconnexion entre la mer Noire et la mer Méditerranée il y a 9 000 ans, la mer Noire qui était un lac d’eau douce s’est re-salinisée. Sa salinité a ainsi été multipliée par dix, passant de 2 à environ 22 g/L. Elle est maintenant stable depuis 2500 ans avec une concentration un peu supérieure à la moitié de celle de la mer Méditerranée (environ 39 g/L).
Entre 40 et 200 milliards de m3 de méthane issus de la fonte d’hydrates
Dans les prochains 5 000 ans, l’article de Nature Communications montre que ce paramètre de salinité pourrait être à l’origine d’une déstabilisation des hydrates de méthane sur une surface des fonds marins de 2 800 km2, pour un volume de gaz estimé entre 40 à 200 milliards de m3. Soit l’équivalent de 5 ans de consommation de gaz naturel pour un pays comme la France. Un chiffre que relativise Vincent Riboulot : « Outre cet ordre de grandeur, notre principal résultat est d’avoir découvert ce processus de dissociation lié à la salinité et d’avoir montré qu’il est en cours. L’émission de méthane au niveau des fonds marins de la mer Noire est un phénomène qui se produit depuis sûrement plusieurs millions d’années, la fonte actuelle d’une partie des hydrates de méthane contenus dans le sous-sol marin constitue un apport supplémentaire de méthane dans la mer non négligeable ».
Ces résultats sont le fruit d’une campagne océanographique de 2015 intitulée GHASS (Gas Hydrates, fluid Activities and Sediment deformations in the western black Sea). Les mesures ont concerné la partie roumaine de la mer Noire, avec des prélèvements de sédiments effectués à 800 m de profondeur et des mesures sismiques de très haute résolution, complétées par des analyses chimiques de la composition des fluides. « Toutes les disciplines des géosciences marines ont été associées lors de cette campagne, qui s’est ensuite poursuivie par des travaux de modélisation», souligne le chef de projet Stephan Ker, également chercheur en géosciences marines à l’Ifremer. Les données récoltées ont en effet alimenté un modèle de calcul développé par l’Ifremer. La simulation a permis d’extrapoler les résultats à l’ensemble de la mer Noire et de prédire l’évolution des hydrates de méthane à l’avenir.