Argo ou la révolution des données : quinze ans d’observations de l’océan global
L’équipe scientifique internationale de pilotage d’Argo vient de publier un article dans la revue Nature Climate Change intitulé « Quinze ans d’observations de l’océan avec le réseau global Argo ». Depuis l’année 2000, grâce aux déploiements successifs de plus de 10 000 flotteurs, il est devenu possible de mesurer avec une couverture mondiale et en temps réel, la température et la salinité des 2000 premiers mètres de l'océan. L’article fait le point sur les avancées réalisées grâce au programme Argo dans l’observation et la compréhension du rôle crucial de l’océan sur le climat de la planète. Les évolutions d’Argo attendues au cours de la prochaine décennie sont également abordées.
Un million et demi de profils de température et salinité
« Lancé en 2000, avec un premier objectif atteint en 2007 de 3000 flotteurs simultanément en opération dans tous les océans, le programme international Argo est une révolution dans l’histoire de l’océanographie », explique Guillaume Maze, océanographe physicien au Centre Ifremer Bretagne (Brest) et coordinateur scientifique de la partie française du programme Argo. « En un peu plus de 10 ans, il a permis d’acquérir un million et demi de profils de température et salinité : c'est trois fois plus qu'au cours des 100 années précédentes durant lesquelles l’échantillonnage à bord des navires avait laissé de vastes étendues non-observées durant de longues périodes ou certaines saisons, comme dans l’océan Austral. On est aujourd’hui capable de cartographier en 3 dimensions la température et la salinité de l’océan à l’échelle globale et sans biais saisonnier ». (voir ci-contre)
Les données Argo, en libre accès et disponibles dans les 24 heures suivant leur acquisition, sont à l'origine de plus de 2000 articles scientifiques. Possiblement combinées avec d'autres jeux de données d’observation de l’océan, en particulier les données satellite, elles sont utilisées dans un vaste champ d’applications qui concernent la circulation océanique, le cycle de vie des masses d'eau, le cycle de l'eau douce, l’amélioration des modèles climatiques, ou encore l’étude des changements climatiques sur plusieurs décennies. Les données Argo sont systématiquement utilisées par les systèmes d’océanographie opérationnelle (Mercator Ocean et le Service Marin du programme européen Copernicus).
Ainsi, et de manière emblématique, la comparaison des données Argo avec les observations de l’expédition du Challenger, première grande campagne océanographique mondiale menée entre 1872 et 1876, a révélé, avec 135 ans d’intervalle, que l'océan s'est réchauffé de près de 0,6°C près de la surface. Plusieurs comparaisons avec d'autres données historiques suggèrent un réchauffement depuis les dernières décennies de plus de 1°C dans certaines régions du monde, et un refroidissement dans d’autres, comme par exemple le Pacifique est, du Chili à l’Alaska. Globalement, la couche supérieure de l’océan s’est réchauffée de près de 0,2°C depuis la moitié du 20ème siècle. Argo a ainsi permis de montrer le rôle crucial de l’océan sur le climat. L’océan limite le réchauffement atmosphérique en absorbant plus de 90% de l’excédent d’énergie principalement généré par l'impact des activités humaines sur la planète.
L’avenir d’Argo : pérenniser le réseau et le faire évoluer pour répondre à de nouveaux enjeux scientifiques
Les objectifs principaux d’Argo sont de consolider et pérenniser le réseau sur les 10 à 20 prochaines années. Des évolutions vont être progressivement apportées : couverture des zones polaires, augmentation du nombre de flotteurs dans certaines régions du globe (en particulier là où la turbulence océanique rend difficile l'analyse des tendances de long terme), extension aux plus grandes profondeurs (pour caractériser le réchauffement des couches profondes de l’océan). L’ajout de capteurs biogéochimiques (oxygène, chlorophylle, carbone, nitrate, pH) va élargir le champ d’études : couplages physique/biologie, cycle du carbone, désoxygénation, acidification des océans.
Le projet Equipex NAOS coordonné par l’Ifremer et co-porté par l’UPMC a permis de préparer les évolutions technologiques nécessaires à cette nouvelle phase du programme Argo en France. Des expériences pilotes pour ces différentes extensions sont en cours de réalisation. Des prototypes allant jusqu’à 4000 mètres ont ainsi été développés et déployés avec succès dans l'Atlantique. Un réseau de flotteurs biogéochimiques a été mis en place en Méditerranée. Il fournit d’ores et déjà un jeu de données remarquable pour l’étude des cycles biogéochimiques en Méditerranée.
Argo : une participation très active de la France
La France est très active dans tous les aspects du programme Argo : coordination européenne (accueil de l’ERIC Euro-Argo au centre Ifremer de Brest), centre de données (elle possède l'un des deux centres mondiaux de traitement), développement de l'instrumentation, recherche et océanographie opérationnelle.
La contribution française à Argo est coordonnée par le Laboratoire d'Océanographie Physique et Spatiale (LOPS, UMR 6523 à Brest) pour les mesures physiques, par le Laboratoire d'Océanographie de Villefranche (LOV, UMR 7093) pour les mesures biogéochimiques et par la structure inter-organismes Coriolis animée par l’Ifremer et qui regroupe les principaux organismes français regroupés au sein de l’alliance AllEnvi et impliqués dans l’océanographie (CNES, CNRS-INSU, Ifremer, IPEV, IRD, Météo-France, SHOM).
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