Acidification des océans : les huîtres résistent mieux que prévu

Bonne nouvelle pour les ostréiculteurs : il semblerait que les huîtres de moins d’un an soient peu sensibles à l’acidification des océans, jusqu’à un niveau de pH de 7,3. Ce seuil est très inférieur aux conditions océaniques prévues en fin de siècle dans le contexte du changement climatique.  Ces résultats préliminaires du projet AiAiAi* seront présentés le 28 mars lors du colloque Acidification des océans organisé par la FRB (Fondation pour la recherche sur la biodiversité).

Comment réagissent les huîtres dans une eau plus acidifiée, suivant les prévisions climatiques d’ici 2100 ? Une expérimentation a été menée sur le site Ifremer d’Argenton (Finistère), en plongeant des parents, des gamètes, des larves et des jeunes naissains dans un milieu de type actuel, et un milieu acidifié : pH diminué de 8,1 à 7,8 et température augmentée de 3°. Résultat : aucune différence apparente. « Les huîtres sont en fait déjà adaptées probablement parce que ces conditions sont fréquentes dans la zone côtière », souligne Fabrice Pernet, chercheur à l’Ifremer. Le littoral est naturellement plus acidifié que le large, référence pour les projections climatiques. Une sonde de pH instrumentée en rade de Brest montre ainsi déjà à l’heure actuelle des variations de pH entre 7,6 et 7,9.

Les scientifiques ont alors revu leur expérience, comme l’explique Fabrice Pernet : « Nous avons cherché du coup quel était le point de bascule à partir duquel l’acidification influençait les traits de vie des huîtres ». 15 niveaux de pH ont été testés, entre 6,4 et 7,8. Pendant 3 semaines, des lots de 200 naissains par pH ont ainsi été suivis.

Suivant l’évolution du poids des animaux, les premières observations montrent que le point de bascule se situe à un pH entre 7,2 et 7,3. Précisions de Fabrice Pernet : « le poids des naissains a triplé en trois semaines lorsque le pH était compris entre 7,3 et 7,8. En-dessous de cette gamme de pH, la prise de poids a été plus faible, voire négative (amaigrissement) lorsque le pH était inférieur à 6,6. ».

Les chercheurs se sont enfin demandé si les animaux soumis à des pH plus faibles seraient plus sensibles, par exemple en cas d’épisode de mortalité lié à des maladies. L’expérience s’est donc poursuivie en exposant les huîtres au virus qui est responsable des mortalités de naissain depuis 2008. Entre 7,3 et 7,8, les taux de mortalité ont été équivalents, atteignant 10 à 15% pour chaque lot. En revanche, aucune mortalité n’a été constatée chez les huîtres exposées à des pH inférieurs à 7,3. « Ces huîtres qui se sont moins développées semblent protégées du virus. Pour se répliquer, le virus utilise la machinerie cellulaire de l’huître, et tout facteur qui altère la croissance comme une baisse de pH, peut contribuer à les protéger», suggère Fabrice Pernet.

Ces résultats optimistes doivent cependant être modérés : les naissains sont probablement plus résistant à l’acidification que les larves qui sont à la base du recrutement et de la dynamique des populations adultes. D’autre part, les huîtres sont capables de grandir en condition acidifiée, mais la coquille semble fragilisée. Il faut maintenant analyser les propriétés des coquilles produites à bas pH.

L’acidification de l’océan résulte de la dissolution du CO2 émis par les activités humaines. L’impact sur la biodiversité marine a déjà été étudié au moins en laboratoire, mais peu d’expérimentations ont porté à ce jour sur les capacités d’adaptation des espèces. Grâce à deux projets gérés par la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB)* dans la cadre du programme Acidification des océans financé par le ministère, des essais ont lieu en bassin sur des lots d’huîtres et de poissons.

Cinq huitres choisies au hasard sont classées en ordre croissant de taille de haut en bas. Le « point de bascule », c’est-à-dire le point à partir duquel la croissance diminue de manière significative, se situe entre 7,3 et 7,2 unités de pH. 

Maturité sexuelle, fécondation et sociabilité affectées chez les poissons: Des essais en bassin à plusieurs niveaux d’acidification ont lieu sur plusieurs générations de bars, sur le centre Ifremer Bretagne, dans le cadre du projet Pacio*. Les premiers résultats montrent un impact au niveau de la maturation sexuelle des poissons plus précoce pour les pH plus faibles (7,8 et 7,6), plus particulièrement pour les femelles. De plus, les taux de fécondation sont moins bons en milieu acidifié, la ponte est avancée de 2 à 4 semaines et les œufs semblent de moins bonne qualité. Enfin, les individus ont un comportement social modifié, ils perdent leur cohésion de groupe et leur perception des autres.

*A propos

Le projet AiAiAi (Acidification, acclimatation et adaptation des mollusques bivalves) est porté par l’Ifremer dans le cadre de l’UMR LEMAR (Laboratoire des sciences de l’environnement marin, porté par l’Université de Bretagne Occidentale, le CNRS, l’IRD et l’Ifremer). Il porte sur l’huître creuse et sur l’huître perlière (essais également en cours sur le bassin Ifremer de Tahiti).

Le projet Pacio (Réponses physiologiques et adaptatives des poissons à l’acidification des océans) est mené par l’UBO et l’Ifremer (également dans le cadre de l’UMR LEMAR), avec l’institut Alfred Wegener et l’Université de Hambourg.

Ces deux projets, qui se termineront en 2020, sont financés par le Ministère de la transition écologique et solidaire dans la cadre du programme Acidification des océans, et gérés par la FRB (Fondation pour la recherche sur la biodiversité).