Le plus grand ensemble de cratères sous-marins d’Europe ausculté à la loupe

Un déploiement inédit d’outils de mesure a eu lieu jusqu’au week-end dernier en baie de Concarneau. L’objectif de cette mission scientifique étant de mieux comprendre l’origine et la formation, entre 3 et 6 km de nos côtes, de ce champ de cratères sous-marins, des « pockmarks », dont certains ont l’air toujours actifs.

Un contexte géologique mystérieux

Les pockmarks sont des cratères sous-marins produits par l'émission de gaz, huile ou eau vers la surface. Dans la baie de Concarneau, sur un couloir de 2 km de large passant entre la pointe de la Jument et les îles Glénan, on en dénombre plusieurs milliers au km2, jusqu’à 30 mètres de diamètre, ce qui constitue le plus grand champ connu de pockmarks d’Europe (carte de la zone d’étude ci-contre ou ici). L’objectif est d’étudier les mécanismes à l’origine de leur apparition, de caractériser le temps de formation de ces structures et d’estimer les débits de méthane sortant des fonds marins. « Avec plusieurs milliers de pockmarks au km2, à faible profondeur (moins de 40 m), ce site est unique en Europe », souligne Axel Ehrhold, chercheur dans l’unité Géosciences Marines à l’Ifremer et co-responsable de la campagne SYPOCO (SYstemes sédimentaire et de POckmarks de la baie de COncarneau).

Trouver des sédiments marins contenant du gaz est habituel sur nos côtes. Mais ce gaz reste souvent emprisonné dans les sédiments. Pourquoi le système sédimentaire au large de Concarneau produit-il des fluides qui provoquent ces pockmarks ? Est-ce lié à la nature des sédiments qui comblent les anciennes vallées ou à leur âge ? Ou bien à la nature des gaz qu’ils contiennent ? Ou encore à des mécanismes déclencheurs en surface (vague, marées) ou en profondeur (séismes) ? Pour apporter des réponses, la campagne SYPOCO a concentré une palette d’outils de mesure inédite à cette faible profondeur.

Des moyens techniques inhabituels

« Nous sommes habitués à déployer de nombreux moyens sur des campagnes hauturières, en plein océan. Mais si proche de nos côtes, c’est la première fois. » (Axel Ehrhold) La taille des bateaux côtiers ne permet pas d’embarquer tous les outils comme en haute mer où l’on a recours à des bateaux de plus de 100 m de long. En effet, La Thalia ne mesure que 24,5 m et ne peut donc gérer tout le matériel en une seule fois. La campagne, qui a mobilisé plus de 40 chercheurs/ingénieurs/techniciens d’Ifremer en collaboration avec l’UBO, l’Université de Nantes, Intechmer de Cherbourg et le SHOM, a pu profiter de l’aide du centre Ifremer de Concarneau et des Phares et Balises afin de réaliser des analyses rapides des échantillons prélevés durant la mission et des rotations entre les différents outils déployés au fur et à mesure. Outre les outils plutôt habituels de cartographie ou de sismique, la campagne a connu 4 temps forts.

(1) L’utilisation pour la première fois en mission opérationnelle de la sismique Sparker multitrace qui est un tout nouvel outil de l’unité Géosciences Marines. Les acquisitions de données, réalisées entre le 5 et le 9 juin derniers, permettent d’obtenir des coupes en deux dimensions du sous-sol marin, de caractériser l’architecture sédimentaire, la profondeur du socle rocheux et indirectement les zones d’accumulation du gaz sous le champ de pockmarks sus-jacent et d’identifier les zones d’intérêt pour réaliser les mesures in-situ qui ont été prévues dans la suite de la mission.

(2) Autre outil d’intérêt, le recours à un carottier permettant de prélever des échantillons jusqu’à 5 m de profondeur de sédiments. Alors que les carottages récents se comptaient sur les doigts d’une main sur cette zone, 40 carottes pour des analyses sédimentaires et géochimiques ont cette fois été prélevées du 11 au 15 juin. L’idée étant de pouvoir dater les différentes couches et interpréter les données sismiques pour comprendre l’organisation et la nature des couches sédimentaires qui se sont accumulées dans cette ancienne vallée fossile sur près de 30 m d’épaisseur, et toutes ou en partie conservées depuis la dernière remontée du niveau marin.

(3) La station autonome SOLESS (Système d’observation long terme pour environnements sédimentaires) a plongé pour la 1ère fois dans l’océan, après des tests en bassin et en rade de Brest. Posée au fond sur une zone qui est suspectée en dégazage et récupérée après une trentaine d’heures, elle permet d’étudier ce qui se passe à l’interface eau/sédiment, notamment en prenant des mesures en continu de la pression partielle de méthane dissous. L’objectif ici est d’observer des variations de concentrations liées à la marée.

(4) D’autre part, un observatoire de fond de mer devrait être mis à l’eau cet été. Le cœur en est la station BOB (Bubble OBservatory module), une boite jaune de plus de 600 kg permettant d’observer les panaches de bulles mais aussi les bancs de poissons dans la colonne d’eau. Cette station sera remontée fin août. Trois piézomètres avec des tiges de 7,5 m ont aussi été implantés pour 6 mois environ afin de mesurer la pression liée à la présence de gaz dans le sédiment, en fonction des accumulations de gaz, des variations d’épaisseur de la colonne d’eau liées aux marées et aux tempêtes ou encore des accélérations du sol en lien avec des activités sismiques. Le dispositif est complété par 6 OBS (Ocean Bottom Seismometer), des sphères en verre de 40 cm de diamètre déposées sur le fond pour mesurer l’activité sismique afin de détecter les fins mouvements du sous-sol. Les OBS remonteront à la surface après 70 jours d’acquisition de données. Le couplage entre tous ces outils permettra pour la première fois de caractériser l’impact du dégazage observé en temps réel sur les mouvements de sous-sol et l’état des pressions dans les réservoirs de gaz pour connaitre les facteurs déclenchant la formation des pockmarks. « C’est un chantier unique pour nous ; nous pouvons aller tester nos hypothèses d’une année sur l’autre à moindre coût car nous travaillons à proximité de nos laboratoires. »

Des cratères sous-marins « jeunes » et découverts très récemment

Ces pockmarks en baie de Concarneau ont été découverts en 2003, lors de la mise en place d’un réseau de surveillance de la faune et de la flore vivant sur le fond marin à faible profondeur (réseau REBENT). Ils sont en effet un habitat de prédilection pour des petits crustacés ressemblant à des puces de mer, appelés Haploops. Depuis, 5 missions océanographiques ont permis de cartographier la zone et d’étudier principalement les habitats marins qu’on y trouve, la dernière datant de 2016. Mais des questions se posent encore sur l’âge des pockmarks observés et sur les facteurs déclenchant leur formation.

Il y a 10 000 ans, la baie de Concarneau était une vallée traversée par plusieurs fleuves aux nombreux méandres, qui se jetaient dans la mer dont le rivage se situait alors entre la pointe de Trévignon et l’île de Penfret. La période de déglaciation a ensuite entrainé une remontée des eaux jusqu’au niveau actuel. « Il semble que des pockmarks se soient formés régulièrement sur la zone depuis la dernière remontée du niveau marin mais leur vitesse de formation est encore inconnue. De plus, le sous-sol de la baie est traversé par un réseau de failles, il est régulièrement secoué par des petits séismes, une des causes possible de la formation de pockmarks », explique Axel Ehrhold. Les scientifiques parviennent à distinguer des cratères plus récents, remplis de vase fraiche et avec une signature acoustique différente, par rapport à d’anciens cratères, plus « rugueux » et davantage colonisés (notamment par les Haploops). Mais une datation plus précise des épisodes de formation des pockmarks reste encore difficile. « Nous allons voir si de nouveaux pockmarks se sont formés depuis nos dernières campagnes sur ce site, on se demande encore si les plus récents ont seulement quelques années ou quelques siècles. Les premières mesures de SYPOCO en mai ont montré des évolutions localement significatives dans l’extension du champ de pockmarks depuis 2003.»

Les poches de gaz à l’origine des pockmarks ne représentent pas une ressource importante, ni un risque majeur de déstabilisation du fond marin. Même si le méthane est un puissant gaz à effet de serre, 25 fois supérieur à celui du CO2, nous n’avons pas encore découvert des panaches de bulles qui pourraient atteindre l’atmosphère en baie de Concarneau. « On peut considérer la zone d’étude comme un laboratoire terrain exceptionnel par la densité de cratères et par sa proximité à la côte, conclut Vincent Riboulot co-responsable du projet et de la mission en cours. Les réponses scientifiques que nous pourrons apporter sur les émanations sous-marines de méthane, et l’utilisation expérimentale de nos outils de mesure pourront ensuite nous être utiles sur d’autres sites, notamment en pleine mer. »

En savoir plus sur le développement de SOLESS : https://wwz.ifremer.fr/rd_technologiques_eng/A-la-une/A-la-decouverte-de-SOLESS

Blog de la mission SYPOCO : https://wwz.ifremer.fr/gm/Campagnes-et-donnees/Annees/Fiches-campagnes/Bienvenue-sur-le-blog-de-la-campagne-SYPOCO

Publication scientifique sur l’évolution des pockmarks entre 2011 et 2014 et sur les fonds de la baie de Concarneau :

Baltzer Agnes, Reynaud Marine, Ehrhold Axel, Fournier Jerome, Cordier Celine, Clouet Helene (2017). Space-time evolution of a large field of pockmarks in the Bay of Concarneau (NW Brittany). Bulletin De La Societe Geologique De France, 188(4), 23 (1-16). Publisher's official version: http://doi.org/10.1051/bsgf/2017191, Open Access version : http://archimer.ifremer.fr/doc/00410/52107/

Cartes sédimentologiques de Bretagne Sud, Entre baie de Vilaine et archipel de Glénan. Axel Ehrhold Coordination éditoriale, Edition Quæ 2014.