L’imagerie marine aiguise le regard de la science sur l’océan
Le rendez-vous mondial des spécialistes de l’imagerie marine « Marine Imaging Workshop » s’ancre à Brest du 3 au 6 octobre 2022, à l’invitation de l’Ifremer, organisateur de cette quatrième édition de l’événement qui se déroule à Océanopolis. Une centaine d’experts fera le point sur ce secteur dont les avancées ne cessent d’éclairer les océans sous un jour nouveau. Le projet BLUEREVOLUTION porté par l’Ifremer et ses partenaires en apporte une nouvelle illustration.
Au-delà de sa simple vertu illustrative, l’image marine est devenue une donnée scientifique à part entière, grâce à l’invention de technologies toujours plus performantes depuis les années cinquante. Le microscope, ce vieux compagnon de la science, n’est plus le seul outil pour éclairer la lanterne des scientifiques. Photos et vidéos sous-marines, images satellites ou aériennes, images acoustique permettent d’explorer les angles encore méconnus d’un environnement marin, invisible à l’œil humain ou trop difficilement accessible.
100 spécialistes internationaux scrutent les défis de l’imagerie marine
Pour mutualiser leurs connaissances et poursuivre la dynamique d’innovations engagée, chercheurs, ingénieurs, entreprises et industrie discutent des défis et des orientations futures de l’imagerie marine. Tous les types d’imagerie marine sont sous les feux des projecteurs : sous-marine (photos, vidéos), du côtier au profond, du fond à la colonne d’eau, télédétection (satellite, aérienne), laboratoire (imagerie en flux, microscopie...). Deux grands témoins ont été conviés : Edith Widder, docteur en océanographie et biologiste marine à l’Ocean Research & Conservation Association et Chris Lintott, professeur d’astrophysique et spécialiste en sciences participatives au département de physique de l’université d’Oxford. Sept thématiques seront abordées dans le programme du workshop .
BLUEREVOLUTION : rendre visible l’invisible
Appliquées aux sciences marines, les techniques d’imagerie repoussent l’horizon des possibles pour les scientifiques, à l’instar du projet BLUEREVOLUTION dont le concept a été imaginé par 5 équipes de recherche (Ifremer, Senckenberg Institute, ENIB, Station Biologique de Roscoff et Florida State University).
Daniela Zeppilli, responsable du laboratoire Environnement Profond (LEP) à l’Ifremer explique : « Dans ce projet nous nous intéressons aux organismes présents dans les sédiments marins comme les copépodes ou les nématodes que leur petite taille (de 20 microns à 1 millimètre) contraint à vivre dans l’anonymat car ils sont invisibles à l’œil nu et encore peu décrits dans la littérature scientifique ».
Cette petite taille est pourtant inversement proportionnelle à l’importance de ces animaux qui figurent parmi les groupes les plus diversifiés sur terre. Ils sont aussi des indicateurs écologiques idéaux et des sentinelles pour la santé des écosystèmes. Face à l’augmentation rapide des pressions anthropiques sur les écosystèmes marins, il est urgent pour la communauté scientifique de disposer d’un ensemble de base de donnée solides et de catalogues de la vie marine pour pouvoir mesurer les changements du milieu et les pertes éventuelles de biodiversité.
Une nouvelle ère pour la taxonomie
Grâce aux nouvelles méthodes d’imagerie, héritées pour la plupart de l’univers médical, le métier de taxonomiste -qui consiste à décrire les différentes espèces du monde vivant- va rentrer dans une nouvelle ère.
Les technologies et méthodes testées dans BLUEREVOLUTION utilisent aussi bien la microscopie holographique (permettant de restituer le relief des objets) que l’imagerie par fluorescence 2D/ 3D combinées à des outils de classification basés sur l’intelligence artificielle. Il est ainsi possible de générer des données quantitatives et fonctionnelles sur les communautés d’organismes benthiques (c’est-à-dire vivant sur les fonds marins) à des vitesses jamais vues auparavant.
De 3 à 15 minutes pour une recherche d’identité
« Avant il fallait 3 jours de manipulation pour isoler les individus en passant les sédiments à la centrifugeuse puis engager l’étape de description au microscope. Aujourd’hui grâce au progrès de l’imagerie, on aboutit au même résultat en 15 minutes ! Cela va permettre de donner un coup d’accélérateur au recensement de cette biodiversité méconnue qui pourra être répertoriée dans des bibliothèques de référence mises à la disposition du monde scientifique » se réjouit Daniela Zeppilli.
Une combinaison gagnante avec les techniques d’ADN environnemental
Ces nouvelles méthodes viennent compléter les avancées réalisées en taxonomie par les techniques de l’ADN environnemental qui visent à identifier les organismes grâce aux traces génétiques qu’ils laissent dans le milieu marin. « Le problème majeur pour appliquer les techniques d’empreintes génétiques à l’écologie des fonds marins est le manque de référence provenant des taxons de la faune sédimentaire, ce qui rend impossible l’association de séquences aux espèces et à leurs rôles fonctionnels dans l’écosystème ». BLUEREVOLUTION contribuera justement à venir pallier ce manque.
Des données pour construire le jumeau numérique des océans
Les données récoltées alimenteront le projet de jumeau numérique de l’océan pour pouvoir simuler dans des modèles les réactions d’un environnement marin sous pression climatique et humaine.
L’imagerie marine fait faire un pas de géant à la connaissance de la biodiversité et permet une prise de conscience plus rapide des menaces qui l’affectent. Plus la communauté scientifique échange sur ces innovations comme à l’occasion du « Marine Imaging Workshop », plus les jeunes générations de chercheurs seront formées à ces nouvelles méthodes et plus la science sera en capacité d’assurer la protection d’un environnement qu’elle connaît chaque jour un peu mieux.