Du 20 au 26 octobre

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Arrivée sur site. Les moteurs du Joides Resolution, ou « JR » pour les intimes, passent en mode « position dynamique ». Cette opération limite très efficacement les mouvements et la dérive du bateau dus à la houle et rend ainsi le forage possible. En effet, imaginez que vous vouliez atteindre une cible de quelque centimètres de diamètre en fond de mer (puits) à l’aide d’un long tube métallique à la verticale mesurant plus de 6 km de long et quelques cm de diamètre en rotation permanente, sous le derrick du navire soumis à la houle…

Depuis notre départ de Papeete et durant presque 10 jours, 5 puits au total vont être forés sur le même site nommé SPG1 (South Pacific Gyre 1). Le premier forage a permis de repérer l’interface sédiment-basalte. Il s’avère que cette limite physique est d’une importance capitale pour l’équipe scientifique mais également pour la suite des opérations. Les profils géochimiques sont également mesurés a l'aide de sondes.

Les carottes de sédiment collectées dans le deuxième puits SPG1-B, d’une profondeur équivalente au premier puits et en cours de traitement, seront étudiées en détail afin de déterminer leurs caractéristiques géochimiques à l’aide de presses mécaniques. Au même moment, au niveau du pont de carottage, des instruments scientifiques extrêmement sophistiqués scannent dans les moindres détails les propriétés physiques des carottes (paléomagnétisme, géologies structurale, lithologie, pétrologie, imagerie haute résolution…). Les carottes sont ensuite séparées en ½ carottes : l'une servira d’archive pour les carothèques et l’autre à l’échantillonnage et l’analyse.

Ça y est, les carottes tant attendues dédiées à l’étude microbiologique arrivent enfin sur le pont les unes derrières les autres en tronçons de 9 mètres. Afin de satisfaire les requêtes de chaque chercheur participant à bord et à terre, un plan d’échantillonnage précis est fixé au tableau afin de guider nos opérations. Le travail d’équipe est primordial à cette étape. Et malgré une préparation minutieuse, quelques minutes de panique contrôlée ont suivi l’arrivée de la première carotte. Ensuite chacun a trouvé son poste. Les microbiologistes travaillent dur pour découper et conserver les précieux échantillons. Les « shifts » de 12 s’enchaînent afin de prendre la relève de nos collègues qui découpent des tronçons de carottes depuis plusieurs heures dans la chambre froide (entre 4 et 8°C). En effet, les carottes sont traitées dans les conditions de température les plus proches des conditions in situ (température proche de zéro) afin de préserver au maximum les organismes vivants présents. Les microbiologistes sont bien fatigués et doivent maintenant s’atteler à conditionner et traiter leurs propres échantillons pendant l’accalmie.

Au total, 10 carottes de 9 mètres environ contenant chacune 6 sections sont traitées. Trois jours complets auront été nécessaires aux deux équipes de 4 chercheurs pour le sous échantillonnage. Nos opérations sont systématiquement encadrées par un assistant de l’équipe IODP afin d’assurer l’étiquetage et les conseils relatifs au traitement. A la fin des opérations, le long train de tubes métalliques de presque 6 km de long est remonté afin d’échanger le trépan.

L’ensemble du dispositif sera redescendu plusieurs heures après pour extraire une carotte constituée de basaltes. Au moins une journée sera nécessaire à l’ensemble des opérations d’échange du trépan. La récupération des carottes de basaltes demandera encore quelques jours supplémentaires. La semaine prochaine, le deuxième site SPG2 à l’est du précédent dans le Gyre Pacifique sera échantillonné (cf. carte).

La météo est clémente, le soleil et la chaleur sont au rendez-vous. Ces derniers jours, nous avons la compagnie de 4 requins et plusieurs Mahi Mahi probablement attirés par les vibrations du navire et la nourriture…

Focus

Comment les bactéries vivent-elles sous terre ?

La notion de biosphère souterraine ou de « subsurface » est née au début des années 90, en particulier grâce aux réflexions d’un astronome, Thomas Gold, qui le premier supposa qu’il pouvait exister dans la croûte terrestre (ou dans l’équivalent extra-terrestre) des conditions physico-chimiques pouvant permettre la vie microbienne tout à fait indépendamment de la surface.

La biosphère souterraine est bien présente et active jusqu’à plusieurs milliers de mètres de profondeur, tant que la température le permet. C’est une notion difficile à définir précisément, mais que l’on pourrait résumer comme la présence de microorganismes se développant indépendamment de l'énergie lumineuse et n'ayant pas de contact direct avec les écosystèmes de surface.

L'existence de microorganismes vivant profondément sous la surface de la terre est aujourd’hui bien établie. Cette biosphère contient, selon les auteurs, entre 5 et 50% de la biomasse terrestre totale. Dans ce biotope, les microorganismes se logent dans des pores, les fractures et des inclusions. Les effectifs microbiens sont importants dans les sédiments de surface car la matière organique fraîchement déposée est facilement et rapidement dégradée. Par exemple, dans la Mer du Japon et la marge continentale Péruvienne, le 1er mètre de sédiments contient entre 1,4 et 4 milliards de cellules par cm3 respectivement. Ensuite, le nombre de bactéries total chute rapidement dans les couches sous-jacentes mais il subsiste encore 2,76 millions de cellules par cm3 à la profondeur moyenne de 500 m sous le plancher océanique. Plusieurs facteurs physico-chimiques influencent la distribution des effectifs microbiens totaux dans les sédiments marins, tels que les sources d’énergie, de carbone, la température, la pression, la salinité, l’âge et la porosité des sédiments. Les sources d'énergie dans les écosystèmes profonds sont plutôt d'origines géochimiques.

Sans entrer dans les détails, une bactérie a au minimum besoin de trois sources vitales pour sa survie et son développement : une source de carbone, une source d’énergie et une source d’électrons pour sa respiration. Les bactéries souterraines n’échappent pas à la règle, mais elles doivent développer des activités métaboliques originales pour subvenir à leurs besoins. Certaines sont anaérobies, c’est-à-dire qu’au bout de la chaîne respiratoire l’accepteur final d’électrons n’est pas l’oxygène mais un autre composé tels que le dioxyde de carbone, le fer, le sulfate ou le nitrate. Les procaryotes à la fois autotrophes (ils assimilent le CO2 comme seule source de carbone) et chimiolithotrophes (ils utilisent des composés inorganiques comme source d'énergie : l’hydrogène, le fer, l’hydrogène sulfuré, etc.) sont potentiellement capables de survivre et de croître dans les environnements souterrains, indépendamment de l'énergie lumineuse ou de composés organiques complexes. L'hydrogène serait une source d'énergie et d'électrons importante, au même titre que le CO2 serait une source primordiale de carbone dans les écosystèmes profonds.

Les populations bactériennes de surface épuisent vraisemblablement toutes les sources d'énergie disponibles. Ainsi les sources de carbone et d'énergie pour les microorganismes de la biosphère profonde peuvent être générés par des processus abiotiques produisant des composés organiques complexes par exemple. Les interactions entre les processus bactériens et thermogéniques dans les sédiments marins pourraient donc expliquer l'existence d'une biosphère profonde cachée sur terre.

 

Glossaire

Abiotique : en écologie, représente l’ensemble des facteurs physico-chimiques d’un écosystème influençant l’ensemble des êtres vivants coexistant dans un espace défini.

Anaérobie/anoxique : sans oxygène (O2).

Basalte : roche volcanique issue d’un magma refroidi rapidement au contact de l’eau de mer. C’est le constituant principal de la croûte océanique.

Eau interstitielle : eau récupérée en compressant fortement les carottes de sédiments comme une éponge à l’aide de presse mécanique.

Mahi Mahi est le nom hawaïen donné à la dorade coryphène, qui signifie « fort fort ».

Thermogènique : décomposition d’un composé organique par la chaleur pour obtenir d’autres produits (gaz et matière) qu’il ne contenait pas. Par opposition à biogénique - issu de la fermentation par des bactéries.