Comment la filière pêche traverse-t-elle la tempête COVID ?
Effets secondaires du COVID 19, la crise sanitaire fragilise l’économie. Une contagion à laquelle n’échappe pas la filière pêche, bousculée par les effets induits du coronavirus. L’Ifremer mobilise ses équipes spécialisées dans la production de données halieutiques et ses économistes de la mer pour évaluer l’onde de choc provoquée par la crise sanitaire sur le monde de la pêche.
2020 : un casse-tête pour les statistiques halieutiques
Pour remplir sa mission d’expertise auprès des pouvoirs publics et des gestionnaires du secteur de la pêche, l’Ifremer opère le Système d’Information Halieutique (SIH), un réseau scientifique national chargé de l’observation et de la production de données sur les ressources halieutiques et les flottilles de pêche professionnelles embarquées. L’institut de recherche réalise aussi des analyses socio-économiques sur les politiques publiques intéressant les activités maritimes par l’intermédiaire de l’unité mixte de recherche AMURE (Centre de droit et d’économie de la Mer) dont l’Ifremer est l’une des pierres angulaires. Toutes ces compétences ont été mobilisées en 2020 pour analyser les répercussions de la crise dans l’univers de la pêche.
« La tâche n’a pas été simple car seuls les navires de plus de 12 mètres transmettent les déclarations obligatoires sur leur activité de pêche via une procédure dématérialisée »
Emilie Leblond, coordinatrice du Système d’Information Halieutique (SIH)
« Pour les données « papier » et observations sur les points de débarquement relatives aux navires de moins de 12 mètres, nous nous sommes retrouvés avec un déficit d’informations par rapport à d’habitude, explique la coordinatrice du SIH Émilie Leblond. En effet, les administrations chargées de la saisie de ces documents ont été fermées pendant le confinement, tout comme certaines criées, et le confinement nous a empêché tout déplacement pour collecter de l’information sur le terrain ».
Pour les navires de plus de 12 mètres, un tableau de bord sur l’activité de pêche 2020 dans les différentes façades maritimes françaises a aussi pu être établi à avec une fréquence hebdomadaire inédite jusqu’alors. Olivier Guyader, économiste en ressources naturelles à l’Ifremer, et Émilie Leblond expliquent : « Nous avons basé notre analyse sur plusieurs indicateurs : le nombre de navires actifs, l’activité de pêche mesurée en jours et heures de pêche, les débarquements en quantité et valeur, à la fois toutes espèces confondues et séparés par espèces, ainsi que les prix ». Afin de mettre en perspective ces évolutions, l’année a été divisée en différentes périodes : avant le confinement, pendant, et après. La synthèse de ces éléments (voir synthèses de l'impact du Covid-19 en Atlantique et en Méditerrannée) permet de dresser un premier bilan sur l’année en comparaison avec les données 2018-2019 et ce à différentes échelles, par façade, région et catégories de longueur des navires. Les données présentées concernent les navires de 12 mètres et plus (hors thoniers senneurs tropicaux et thons rouges, hors Corse).
L’activité en baisse de 10 % sur l’année
En moyenne l’analyse de ces chiffres fait apparaître une baisse globale de la production de la filière pêche en France en 2020 (amorcée dès le début de l’année, avant la période du premier confinement) avec un très fort impact les trois premières semaines du confinement, soit un recul constaté de 60 à 75 % suivant les navires et les régions. Ce déficit de production n’a pas été récupéré à l’issue du premier confinement et les indicateurs sur l’ensemble de l’année 2020 sont en berne par rapport à 2018-2019.
Dans le détail, on relève une présence moindre en mer (-10 %). Au total les marins pêcheurs de Métropole ont passé par exemple 13 150 jours de moins sur l’eau en 2020.
Les débarquements des pêcheries ont diminué de 40 000 tonnes en 2020, soit une baisse estimée à 14 % en comparaison avec les années précédentes. Quant à la valeur des produits débarqués, ils affichent une perte équivalente à 93,5 millions d'euros, soit une réduction de 13 % au regard des chiffres antérieurs qui démontraient jusqu’alors une tendance plutôt favorable pour le secteur de la pêche française caractérisé par une bonne profitabilité les dernières années.
À préciser que les impacts sont différenciés selon les entreprises de pêche. Ainsi sur la façade Atlantique, près d'un tiers des navires ont vu leur valeur débarquée réduite de plus de 20% par rapport à l'année 2019.
Quelles conséquences pour la filière ?
Si la filière pêche est indéniablement impactée par les répercussions de la crise sanitaire, les conséquences ne sont pas les mêmes si on considère la taille des navires, les espèces ciblées ou les régions par exemple. « En fonction de la saisonnalité inhérente à chaque espèce de poisson, le calendrier a évidemment été plus favorable aux pêcheries qui ont pu effectuer leurs captures avant le confinement » soulignent Émilie Leblond et Olivier Guyader.
« Le confinement lui-même a fait peser beaucoup de contraintes sur l’organisation des navires, de leur équipage, et a aussi amené des difficultés logistiques en matière de maintenance et de réparation mais a surtout perturbé la commercialisation des produits. »
Émilie Leblond, coordinatrice du SIH et Olivier Guyader, économiste en ressources naturelles à l’Ifremer
Certaines criées ont interrompu leur activité tandis que la fermeture des restaurants et la perturbation du marché de la restauration collective a restreint les débouchés pour la filière. « Dans un contexte de forte dépendance de la consommation aux échanges mondiaux, ceux qui ont pu vendre par l’intermédiaire des grandes et moyennes surfaces (supermarchés) ou de circuits locaux comme dans le grand Ouest ou en Méditerranée s’en sont probablement sortis avec moins de dommages que ceux dont les produits sont majoritairement destinés à l’exportation, vers l’Italie ou l’Espagne par exemple ». À noter cependant que des actions spécifiques visant à accompagner les flottilles de pêche ont été mises en place par l’État pour atténuer les effets de cette crise.