Estimer les stocks multiespèces
Comme dans d’autres régions d’Outre-mer, la pêche multispécifique est pratiquée en Martinique : un même bateau cible de nombreuses espèces. Ceci pose des problèmes de gestion, car la réglementation sur la pêche s’applique habituellement à une seule espèce. De plus, les pratiques de vente ne permettent pas d’identifier précisément tous les animaux capturés et donc d’avoir des données détaillées par espèce. Pour pallier ce manque d’information et permettre l’évaluation des ressources, il existe des méthodes à données limitées, qui établissent des diagnostics sur l’état des stocks. Ces outils ont été appliqués en Martinique pour la première fois.
Le projet EDB2 (Évaluation de l’état des ressources démersales du plateau insulaire martiniquais) a pour objectif de trouver et d'appliquer une méthode pour évaluer l’état de la biomasse des espèces du plateau insulaire martiniquais en absence de données complètes.
Recenser les données disponibles
La première étape a été de recenser les données disponibles : l’effort de pêche et les quantités de poissons débarquées sont recueillis dans le cadre du Data collection framework, au travers du Système d’informations halieutiques (SIH). D’autres informations habituellement utilisées pour diagnostiquer les stocks des poissons, comme la longueur et l’âge des individus capturés, ne sont en revanche pas disponibles. Plusieurs méthodes ont ensuite été appliquées, pour choisir la plus adaptée aux données disponibles.
Des observations pour déterminer des zones de pêche et estimer les indices d'abondance
Les informations transmises par les pêcheurs regroupent sous une même appellation des poissons qui peuvent avoir des modes de vie très différents. Elles donnent cependant de bons renseignements sur les volumes pêchés et l’effort de pêche associé. Une première phase a été de déterminer des zones de pêches aux profils de captures similaires et d’estimer des indices d’abondances pour chaque espèce. Ce travail a été réalisé à partir des observations au débarquement, plus ponctuelles et plus détaillées.
Des indicateurs sur la biomasse et la pression de pêche
Pour le diagnostic, le modèle Spict (Surplus Production in Continuous Time) a été choisi. Il permet d’obtenir des indicateurs sur la biomasse et la pression de la pêche, pour chaque espèce ou groupe d’espèce étudié.
Ces indicateurs signalent si le rendement maximal durable, limite au-delà de laquelle le stock est surexploité, est dépassé ou non, sous l’angle à la fois de la biomasse et de la pression de pêche. Les données ont été regroupées en 12 groupes d’espèces et cinq sous-zones.
Ce regroupement permet d’obtenir des résultats significatifs et exploitables.
Comparer avec les données passées
Les données ont été comparées à celles obtenues en 1989, date du dernier état des lieux complet de la biodiversité marine effectué en Martinique. Il apparait par exemple que la famille des séranidés, dont font partie les mérous, est très peu pêchée aujourd’hui, alors qu’elle était l’une des principales familles capturées à la fin des années 80. Ceci est lié à la disparition quasi complète du grand mérou.
Poursuite du projet en Guadeloupe
Une étude similaire sera menée en Guadeloupe. Elle permettra de tester d’autres approches, en plus de celles utilisées en Martinique. Il est envisagé d’adapter la méthode à l’échelle trimestrielle et non plus annuelle. Ceci permettrait de tenir compte des variations saisonnières de l’abondance de certaines espèces, comme les langoustes.
Selon les résultats, des recommandations de gestion, adaptées à la pêche multispécifique et locale pourront être proposées. Il s’agit de soutenir durablement l’activité des pêcheurs, tout en protégeant les espèces les plus vulnérables. Ceci peut passer par l’introduction d’engins de pêche plus sélectifs ou des modes de captures alternatifs, la mise en place de mesures de protection saisonnières (par exemple lors des périodes de repos biologique) ou le report de l’effort sur d’autres zones.