La pêche durable au cœur d’une collaboration entre scientifiques et pêcheurs professionnels
Du 28 avril au 1er juin, Thalassa, navire océanographique de l’Ifremer, sillonne le golfe de Gascogne, accompagné de deux navires de pêche professionnelle, pour évaluer la biomasse des petits poissons pélagiques (ou poissons bleus) comme l’anchois et la sardine. Le navire collecte chaque année depuis près de 20 ans des données sur l'ensemble de l'écosystème pélagique, afin de comprendre comment ces poissons bleus interagissent avec leur environnement physico-chimique (température, salinité…), leurs proies planctoniques et leurs prédateurs (mammifères marins, oiseaux).
Pêcheurs et scientifiques évaluent ensemble les stocks
Chaque année, l’Union européenne définit des quotas de pêche à partir des biomasses de poissons évaluées grâce à des données scientifiques collectées lors de campagnes à la mer et les données de captures des navires de pêche professionnelle. Ainsi, à l’échelle locale, dans le golfe de Gascogne, l’Ifremer réalise chaque année depuis 2000 une campagne d’évaluation des ressources de poissons (campagne PELGAS) au moyen de son navire de recherche Thalassa. Techniquement, les sondeurs acoustiques du navire permettent de détecter et quantifier la densité des bancs de poissons, le chalut pélagique de Thalassa est utilisé pour identifier les échos de poissons détectés par acoustique. Depuis 2007, les pêcheurs professionnels se sont associés à l’opération et réalisent des chalutages supplémentaires pour aider à identifier les différentes espèces présentes et traduire les échos acoustiques en tonnes de poissons. Les données acoustiques et les captures sont ensuite combinées afin de produire des indices qui reflètent l'évolution des biomasses de chacune des espèces. Pendant la campagne PELGAS 2017, plus de 100 opérations de pêche ont été réalisées, dont près de la moitié par les pêcheurs professionnels. Cela a permis d’augmenter la précision des indices d’abondance, essentiels pour atteindre l’objectif d’une gestion durable des pêcheries des petits poissons pélagiques du golfe de Gascogne.
L’anchois, l’exemple d’une gestion vertueuse
La pêche à l’anchois a par exemple été fermée en 2005, car le stock avait atteint un niveau préoccupant, et les recrutements étaient faibles depuis 2002. La pêche ne pouvait être la seule explication à cette situation, les conditions environnementales ayant une influence majeure sur la réussite des reproductions, la survie et croissance des larves et juvéniles d’anchois, mais un plan de gestion plus précautionneux adopté sur proposition des pêcheurs professionnels a permis de rétablir l’équilibre. Et en 2010, sur la base des résultats de la campagne PELGAS indiquant des niveaux de biomasse élevés, la pêche à l'anchois a été ré-ouverte dans le golfe de Gascogne. La biomasse d’anchois a depuis atteint un maximum historique dans la partie française du golfe de Gascogne en 2015.
Un bilan des données collectées depuis l’an 2000 lors des campagnes PELGAS a été publié dans un numéro spécial de la revue scientifique Progress in Oceanography. Même si les stocks d’anchois et de sardine sont à des niveaux élevés, les résultats montrent notamment que le poids moyen des jeunes anchois et sardines a nettement diminué dans le golfe de Gascogne (voir graphiques sur communiqué ci-joint).
« On constate une augmentation du nombre de jeunes poissons depuis 2010, avec une baisse simultanée de leur poids moyen, souligne Mathieu Doray, co-chef de mission de la campagne Pelgas. Notre hypothèse est que la quantité de nourriture disponible dans le milieu n’a pas augmenté, et qu’il y aurait donc moins de nourriture disponible par individu. Ceci pourrait expliquer pourquoi les jeunes poissons sont moins gros depuis que la biomasse des stocks est élevée. » Des recherches sont en cours à l’Ifremer afin de tester cette hypothèse. Une diminution des tailles moyennes des jeunes anchois et sardines a déjà été mise en évidence en Méditerranée dans le golfe du Lion par l’Ifremer. La situation de ces poissons bleus en Atlantique ne semble cependant pas comparable à celle de leurs congénères méditerranéens : les niveaux des stocks d’anchois et sardine du golfe de Gascogne demeurent en effet élevés, et les individus plus âgés n’ont pas disparu des populations, comme ce qui a été observé dans le golfe du Lion.
A propos: Les campagnes PELGAS ont été initiées par l’Ifremer en 2000. Depuis 2007, elles sont menées conjointement par les scientifiques de l’Ifremer et les pêcheurs professionnels. L’objectif principal est d’estimer la biomasse de petits poissons pélagiques (anchois, sardine, sprat, chinchard, maquereau…) dans le golfe de Gascogne. L'ensemble de l'écosystème pélagique est étudié : paramètres physiques de la colonne d'eau (température, salinité), plancton, poissons, et enfin les prédateurs supérieurs (mammifères marins, oiseaux). Ces campagnes, co-financées par l’Union Européenne (notamment via le Fonds Européen pour les Affaires Maritimes et la Pêche – FEAMP), France Filière Pêche (FFP), le Ministère de la Transition écologique et solidaire et l’Ifremer permettent de récolter des données essentielles pour encadrer une exploitation durable des ressources halieutiques. Le CNPMEM (Comité National des Pêches Maritimes et des Elevages Marins) est responsable de la participation professionnelle dans cette campagne. Cette collaboration durable montre que les pêcheurs peuvent endosser le rôle de sentinelles de la mer en participant à la surveillance des ressources marines.