Pourquoi pas les abysses ?

L’inventaire et la caractérisation de la biodiversité marine comme terrestre s’accélèrent depuis quelques années grâce à de nouvelles techniques de criblage moléculaire (« DNA metabarcoding »1), complémentaires aux études classiques, en associant l’identification du code-barres génétique et la taxonomie2. Les explorations et les études moléculaires ont montré que les grands fonds sont richement dotés en espèces, pourvues d’une physiologie exceptionnelle – tels que les organismes extrêmophiles qui s’adaptent aux variations de températures de 2 à 400 degrés, aux rejets de méthane ou d'hydrogène sulfuré. Cependant, la connaissance de la biodiversité de ce domaine est encore très limitée et les inventaires moléculaires restent jusqu’à maintenant concentrés sur le monde viral et microbien.

Le projet Pourquoi pas les abysses ? a pour objectif d’accélérer la connaissance de la biodiversité des grands fonds. Ce projet va étudier à grande échelle la distribution de la biodiversité marine dans les sédiments marins des grands fonds et la couche d’eau, à l’interface entre le fond et la colonne d’eau. Pourquoi pas les abysses ? s’intéresse à la méiofaune et à la macrofaune (polychètes, nématodes, crustacés, échinodermes, mollusques) ainsi qu’aux microorganismes avec lesquels ceux-ci sont en interaction. Ce projet permettra un saut quantitatif dans l’identification de la biodiversité.

« A titre de comparaison, si un examen de 10 années de données de suivi des herbiers réalisés dans le cadre du réseau REBENT3 correspond à environ 320 espèces identifiées, une seule année d’analyse moléculaire d’échantillons des mêmes sites, permet d’identifier plus de 1000 OTUs (Operational Taxonomic Units), en fonction du gène ciblé » soulignent Sophie Arnaud-Haond et Florence Pradillon, porteuses scientifiques du projet Pourquoi pas les Abysses ?

L’échantillonnage suivra une double stratégie : systématique avec des campagnes océanographiques menées par l’Ifremer dans des zones d’intérêt et selon une approche opportuniste, en associant des partenaires tels que la NOAA, l'IEO et les partenaires du réseau international INDEEP qui permettront d’obtenir des prélèvements issus de zones diversifiées.

De nombreuses mises au point méthodologiques seront nécessaires et permettront le développement de protocoles innovants : choix des méthodes d’échantillonnage permettant de prélever des communautés d’espèces pour les études morphologiques, extraction et préservation d’ADN et d’ARN, définition de méthodes moléculaires, séquençage de génomes complets, traitements bio-informatiques…

Pourquoi pas les abysses ? va générer de nombreuses connaissances sur la richesse et la distribution de la biodiversité marine, le niveau d’hétérogénéité spatiale des communautés d’espèces, les interactions jouant un rôle prépondérant dans la dynamique de ces communautés.

Le métabarcoding

Le metabarcoding et d’autres techniques moléculaires permettront de déceler des séquences génétiques d’espèces rares, d’obtenir des informations sur la fréquence et la datation d’évènements potentiels de radiation dans les grands fonds, l’évolution de grands règnes vivants et les mouvements ancestraux de faunes lors des grandes périodes géologiques.

Par ailleurs, ces techniques moléculaires pourront contribuer à répondre à la question sociétale de l’impact de l’exploitation minière sur la biodiversité des grands fonds en développant des méthodologies pour la définition des états initiaux, des impacts et des mesures de suivis à mettre en œuvre. Ces travaux s’appuieront notamment sur des études menées in situ lors de campagnes océanographiques dédiées aux grands fonds.

"On peut espérer, à partir d'un échantillon de sédiment du fond de la mer, de 4.000, 5.000, 8.000 mètres de profondeur, extraire l'ADN qu'il contient, et ensuite faire un inventaire des espèces présentes dans le milieu", explique Sophie Arnaud-Haond.

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[1] Le métabarcoding permet d’identifier, à partir des techniques de « barcoding moléculaire », l’ensemble des espèces présentes dans un échantillon donné (de sol, de sédiments, d’excréments…). Le « barcoding moléculaire » ou « DNA barcoding » ou « code-barres génétique » est une technique récente de taxonomie moléculaire permettant la caractérisation génétique et l’identification d'un individu appartenant à une espèce donnée.

[2] La taxinomie est une science, branche de la biologie, qui a pour objet de décrire les organismes vivants et de les regrouper en entités appelées taxons afin de les identifier puis les nommer et enfin les classer et de les reconnaitre.

[3] Coordonné par Ifremer, le réseau REBENT associe de nombreux partenaires scientifiques et techniques: stations marines de Wimereux (Université de Lille), de Dinard (MNHN), de Roscoff (Université UPMC Paris VI), de Concarneau (MNHN), d’Arcachon (Université de Bordeaux), Stareso (Université de Liège) et de Banyuls (Université UPMC Paris VI), Université de Bretagne occidentale/IUEM/LEMAR et LEBAHM, CNRS/Université de La Rochelle, Université de Nice, CEVA, GEMEL Normandie, Cellule du Suivi du Littoral Haut-Normand, Hémisphère Sub, Bio-Littoral, CREOCEAN.

Actualités du projet Pourquoi pas les abysses ?

Retrouvez ici les derniers actus du projet.

L’échantillonnage

Florence Pradillon, chercheure au Laboratoire Environnement Profond, explique l’une des étapes essentielles du projet Pourquoi pas les abysses ? : l’échantillonnage.