Parole de scientifique #4 : L'exploitation des ressources minérales des fonds marins est-elle compatible avec la protection de l'environnement ?
3 questions à Pierre-Marie Sarradin, chimiste et responsable de l’unité Etude des écosystèmes profonds.
Les ressources minérales des profondeurs pourraient présenter une alternative aux mines terrestres. L’Ifremer cherche à mieux connaître ce potentiel minier mais aussi la biodiversité qui pourrait être affectée par une telle activité humaine sur les fonds océaniques.
1. Nos téléphones portables peuvent-ils être fabriqués avec des matériaux issus des fonds marins ?
Non, pas dans l’immédiat. Extraire des minerais à plus de 1000 m de fond pose des difficultés d’ingénierie et de rentabilité qui n’ont pas encore été résolues à ce jour. Mais il est vrai que nos smartphones, et les nouvelles technologies en général, utilisent des métaux (rares ou stratégiques) qui permettent de réduire la taille de certains composants électroniques. Les besoins croissants de l’humanité en matières premières conduisent les États à diversifier leurs sources d’approvisionnement. Les métaux qui reposent sur les fonds marins sont considérés comme une ressource potentielle.
2. Quels seraient les impacts d’une exploitation minière au fond des océans ?
En cas d’exploitation, plusieurs risques pour l’environnement ont été identifiés. Tout d’abord, le prélèvement lui-même détruira la structure géologique et donc l’écosystème associé. Du sédiment et des particules seront mis en suspension. Ceux-ci modifieront la composition chimique de l’eau à la profondeur du rejet, ce qui aura un impact sur les communautés microbiennes et animales présentes. En se redéposant, ils transformeront également le sol océanique autour de la zone exploitée. Par ailleurs, certains métaux contenus dans les sédiments peuvent être toxiques une fois dissous dans l’eau. Les rejets de déchets risquent également d’impacter l’eau en surface. Une inconnue majeure est l’extension de ce nuage de particules porté par les courants de fond et donc l’empreinte spatiale de l’impact.
3. Faut-il écarter tout projet d’exploitation pour protéger l’environnement ?
Aujourd’hui, et du point de vue du scientifique, oui, car une exploitation minière au fond des océans impacterait un milieu encore méconnu et pourrait ainsi affecter de potentielles découvertes. Il est actuellement nécessaire d’avancer dans la compréhension du fonctionnement de ces écosystèmes pour pouvoir ensuite évaluer les impacts directs et indirects d’une exploitation potentielle.
D’un point de vue citoyen, je m’interroge : si notre société maintient sa consommation de métaux à son niveau actuel, où trouver les ressources nécessaires ? Une mine terrestre est-elle plus soutenable pour l’environnement ? Quelles sont les voies alternatives ?
Pour l’instant, la plus grande préoccupation des biologistes marins est de mieux comprendre la biodiversité des grands fonds. On ne peut pas protéger ce qu’on ne connaît pas, ou pas assez. Loin d’être des déserts, ces environnements peuvent abriter une vie foisonnante ! En plus de solutions développées en amont avec les industriels pour limiter les impacts, une solution proposée pour préserver les écosystèmes marins en cas d’exploitation est de créer des réserves à partir desquelles les organismes pourraient recoloniser les milieux impactés. Mais quels sont les espaces à protéger, quels sont les cycles de reproduction de ces organismes ? Est-ce que les espèces se déplacent sur de longues distances ? Il est nécessaire de répondre à ces questions avant de proposer et mettre en œuvre des solutions efficaces.
Je suis optimiste sur le progrès de nos connaissances. L’observatoire EMSO Açores que l’Ifremer opère depuis 10 ans, sur un volcan à 1700 m de fond au large des Açores, est notamment un bijou de technologie qui nous permet de suivre en continu un champ hydrothemal et son écosystème. Ce suivi nous a par exemple permis de découvrir très récemment que les marées ont un impact jusque dans les grands fonds sur le rythme biologique des moules qui y vivent. Connaître pour mieux protéger, c’est dans cet esprit que nous poursuivons nos recherches.
→ Pour en savoir plus sur les campagnes MoMARSAT
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Le rôle de l’Autorité internationale des fonds marins, de l’État français et de l’Ifremer
Les ressources minérales situées dans la zone économique exclusive (ZEE) d’un pays dépendent de la législation du pays en question. Dans les eaux internationales, la prospection, l’exploration et l’exploitation des ressources minérales marines sont administrées par l’Autorité Internationale des fonds marins (AIFM –ISA en anglais). L’AIFM a attribué deux permis d’exploration pour les ressources minérales marines à la France. Le premier porte sur les nodules métalliques dans le secteur de Clarion-Clipperton (Pacifique). Le deuxième concerne les sulfures des sources hydrothermales sur une portion de la dorsale médio-Atlantique.
En tant qu’appui à la puissance publique, l’Ifremer a été mandaté par l’État pour mener l’exploration des zones attribuées à la France. Le contrat implique de caractériser le potentiel géologique et l’état de référence de l’écosystème, grâce à des campagnes océanographiques menées sur chaque zone de permis. Au-delà de ses missions d’appui à la puissance publique, l’Ifremer mène également des travaux de recherche sur plusieurs thématiques associées :
- les mécanismes de formation des ressources minérales et le fonctionnement des écosystèmes associés, avec l’étude des interactions entre les fluides, l’eau, les roches et les organismes vivants.
- les impacts des activités humaines et les capacités des écosystèmes à revenir à leur état initial.
- le développement de technologies et de méthodologies de reconnaissance, d’observation et d’intervention sous-marines innovantes. L’observatoire EMSO Açores en est un bon exemple.