Parole De Scientifique #2 : « Comment la France a-t-elle agrandi son domaine sous-marin de 151 000 km2 ? »
Trois questions à Benoît Loubrieu, ingénieur cartographe au Centre Ifremer de Bretagne à Brest et coordinateur scientifique du programme français Extraplac.
Après une première extension de 579 000 km2 en 2015, la France vient aujourd’hui d’agrandir son domaine sous-marin de 151 000 km2 supplémentaires au large de l’île de La Réunion et des îles de Saint-Paul et Amsterdam (Terres australes et antarctiques françaises). L’Ifremer est le maître d'œuvre de la contribution scientifique du programme français d'extension du plateau continental baptisé Extraplac. Cette grande nouvelle est le résultat d’un travail de longue haleine mené depuis plus de 15 ans par des équipes de l’Ifremer et ses partenaires sur les trois océans. Le plateau continental sous juridiction française dans le monde atteint désormais une superficie de 730 000 km2 qui s’ajoute aux 10,2 millions de km2 d’eaux territoriales, mer intérieure et zone économique exclusive (ZEE) déjà soumis au droit de la mer français.
Question #1 : Quels sont les enjeux de l’extension du domaine sous-marin français ?
La Convention sur le droit de la mer de 1982 définit les règles de délimitations maritimes des états côtiers. Elle leur offre la possibilité de demander l’extension de leur domaine sous-marin sous réserve d’apporter la preuve scientifique qu’il est en continuité géologique avec leur territoire terrestre. Dès lors que ces demandes sont acceptées, le sol et le sous-sol marin (et donc les ressources naturelles potentiellement présentes) de ces zones passent sous juridiction du pays demandeur. Toutefois, à la différence des zones économiques exclusives, la colonne d’eau - et la pêche - demeurent ici gérées par le droit international. Cette nouvelle extension de son domaine sous-marin offre à la France la chance d’exercer ses droits souverains et exclusifs dans ces espaces en termes d’exploration, d’exploitation et aussi de protection.
Question #2 : Comment l'Ifremer a-t-il contribué à cette extension du domaine sous-marin de la France ?
Nous avions pour mission de déterminer où se situe, d’un point de vue géologique, la limite des plateaux continentaux des îles Saint-Paul et Amsterdam et de La Réunion. Avec la collaboration du Shom (Service hydrographique et océanographique de la Marine) et d’autres instituts, nous avons étudié en détail le prolongement naturel de ces plateaux depuis la côte jusque dans les grands fonds océaniques. Pour cela, nous nous sommes appuyés sur les nouvelles données issues de campagnes en mer à bord de l’Atalante et le Marion Dufresne et sur la synthèse de connaissances publiées par la communauté scientifique. Nous avons ensuite présenté notre argumentaire à la Commission des limites du plateau continental de l'ONU qui, après 3 ans d’instruction, a validé la demande de la France.
Question #3 : L’Ifremer participe-t-il à la gestion de ces espaces nouveaux pour la France ?
Nous ne savons pas grand-chose de ces environnements profonds de 3000 à 5000 m, éloignés des côtes et peu explorés. Aujourd’hui, l’enjeu pour l’Ifremer est de mieux connaître la nature et la quantité des ressources naturelles mais aussi d’inventorier les espèces qui vivent dans ces profondeurs. Beaucoup de questions se posent sur l’impact de l’exploitation de ces ressources sur la vie marine. Nos recherches ont pour objectif d’éclairer la France pour une gestion adaptée de ces zones méconnues qui, si leur exploitation n’est pas souhaitée, pourraient être protégées.