Sciences participatives : devenez un espion des grands fonds !
Les scientifiques de l’Ifremer font appel à vous pour explorer les grands fonds océaniques. L’institut lance le jeu Espion des grands fonds (Deep Sea Spy), développé dans le cadre du programme européen ENVRI+ et vous propose de partir à la recherche des espèces vivant à proximité des sources hydrothermales, à près de 2000 mètres de profondeur.
Avec la participation du plus grand nombre, les scientifiques espèrent pouvoir analyser de grandes quantités d’images issues d’observatoires fond de mer déployés sur les dorsales Pacifique et Atlantique, et ainsi mieux connaître la faune hydrothermale. ‘Espion des grands fonds’ est accessible librement en ligne. A vous de jouer !
Il y a 40 ans, la découverte des sources hydrothermales
En 1977, la découverte des sources hydrothermales, véritables geysers sous-marins situés le long des dorsales océaniques, bouleversait notre vision de la vie sur Terre. Non seulement elle a révélé l’existence d’une faune foisonnante dans l’océan profond, jusque-là considéré comme désertique, mais elle a également permis de mettre en évidence un processus biologique encore inconnu dans l’océan : la chimiosynthèse. Dans cet environnement extrême dépourvu de lumière solaire et où la pression est énorme, la chaîne alimentaire repose sur des micro-organismes qui se développent en utilisant l’énergie des composés chimiques (méthane, hydrogène, sulfure …) contenus dans les fluides hydrothermaux. Des centaines de nouvelles espèces inféodées à ces milieux ont ainsi pu être décrites.
Des observatoires pour scruter la biodiversité à 2000 m de profondeur
Pour étudier cette faune hydrothermale difficilement accessible et aujourd’hui encore mal connue, l’Ifremer est impliqué dans le développement d’observatoires sous-marins capables de suivre ces écosystèmes en continu. « Ces observatoires regroupent sur un même site des instruments mesurant des paramètres physiques (température, courants, pression), chimiques (oxygène, pH, méthane, fer…) et biologiques grâce à des caméras ou des sonars. Les images optiques et acoustiques obtenues permettent d’évaluer l’abondance des espèces, le comportement et le mouvement des animaux », détaille Marjolaine Matabos, chef du projet de sciences participatives Espion des grands fonds et chercheure au Laboratoire Environnement Profond du Centre Ifremer Bretagne.
Un jeu pour améliorer la connaissance scientifique de la faune hydrothermale
Les images enregistrées depuis 2010 par l’observatoire EMSO-Açores, situé sur la dorsale médio-atlantique, et par l’observatoire Ocean Networks Canada, situé sur la dorsale Juan de Fuca dans l’océan Pacifique, représentent plus de 5000 heures de séquences vidéo. Une archive précieuse mais dont le temps d’analyse dépasse largement les capacités de l’équipe du Laboratoire Environnement Profond. « C’est pourquoi nous faisons appel à un public large pour identifier les espèces présentes dans les images de fonds marin issues de nos archives vidéo. Cette participation nous permettra de mieux connaître le comportement et la distribution de certaines espèces endémiques et ainsi définir les habitats spécifiques associés à chacune d’elles », explique Marjolaine Matabos. « De telles observations nous ont déjà permis de découvrir que des vers marins, vivant à 2000 mètres de profondeur, rentrent et sortent de leurs tubes en fonction du rythme des marées ! »
Devenez un espion des grands fonds !
Grâce à Espion des grands fonds, chacun pourra découvrir les mystères des profondeurs océaniques tout en contribuant au travail d’un laboratoire de recherche. « Il s’agit d’un jeu d’observation dans lequel les participants doivent rechercher des espèces vivantes et les annoter à l’écran », décrit la scientifique. Les classes étant particulièrement visées par le projet, Espion des grands fonds pourrait faire naître des vocations scientifiques !
Le nouveau pavillon Bretagne d’Océanopolis à Brest permet aussi de tester le jeu via une tablette tactile installée près de l’AbyssBox, aquarium sous-pression où vivent des petits crabes et crevettes provenant de notre zone d’étude dans l’Atlantique.
En sciences, le « crowdsourcing » (production participative) efficace pour venir en aide aux chercheurs !
Si les progrès technologiques permettent aujourd’hui aux scientifiques d’étudier les écosystèmes profonds avec précision, l’analyse de grandes quantités de données obtenues représente un travail titanesque qui ne peut être réalisé entièrement par les chercheurs. Dans un article paru en février 2017 dans la revue Methods in Ecology and Evolution, Marjolaine Matabos, chef du projet Espion des grands fonds, compare l’efficacité de différents moyens de traitement de données vidéo. Pour compter des spécimens de morue charbonnière filmés par un observatoire déployé dans un canyon sous-marin du Pacifique, des groupes de bénévoles obtiennent des résultats supérieurs à ceux d’un algorithme et proches de ceux des scientifiques. L’étude souligne l’intérêt d’une complémentarité entre l’œil humain (y compris de personnes non-expertes) et les techniques de vision par ordinateur, pour traiter de grands volumes d’images.
Quelques espèces à découvrir dans Espion des grands fonds :
Chimère Hydrolagus sp.
Ce poisson habitant des profondeurs de 1200 à 2500 m peut atteindre 1 m de longueur et présente une large distribution de part et d’autre de l’Atlantique nord. De couleur plutôt claire, on le reconnait aisément par ses « cicatrices » caractéristiques autour de l’œil. C’est un poisson bentho-pélagique, c’est-à-dire qui évolue à la fois sur le fond et dans la colonne d’eau. On l’observe souvent nager au-dessus des sites hydrothermaux où il est possible qu’il profite de l’abondance des ressources. Des coquilles et morceaux de moule Bathymodiolus ont été observés dans l’estomac de certains individus, cependant leur biologie et écologie restent encore très peu connues.
Segonzacia mesatlantica
Ce crabe Bythograeidae est caractéristique des sites hydrothermaux de la dorsale médio-atlantique. C’est une espèce très mobile que l’on retrouve dans une grande variété d’habitats depuis les fumeurs jusqu’aux zones de diffusion où se développent les moulières. Cette distribution s’explique par leur caractère opportuniste puisqu’ils se nourrissent de cadavres de moules, de crevettes ou d‘exuvies (enveloppes vides issues de la mue) des crevettes. Même si ce sont des prédateurs peu efficaces, ils peuvent se nourrir de moules vivantes après avoir cassé leurs coquilles avec leurs pinces. Ce sont des animaux solitaires et territoriaux. Ils mesurent de 3 à 6 cm environ et présentent une couleur qui varie du blanc au jaune rosé.
Bathymodiolus azoricus
Les modioles profondes sont des parents éloignés de notre moule de bouchot. Elles forment des moulières importantes dans les zones de diffusion hydrothermale modérée où l’eau de mer se situe aux alentours de 5-10°C. Elles sont attachées au substrat par des solides filaments d'ancrage (byssus). Cependant, elles sont relativement mobiles et se déplacent assez rapidement en utilisant leur pied extensible, jusqu’à 2,5 cm/h ! Cette vitesse a justement été mesurée grâce à l’analyse des images de l’observatoire. Elles peuvent mesurer jusqu’à 15 cm.